mardi 29 septembre 2009

Afrique: Désiré Mandilou « L’échéance pour la monnaie commune africaine, c’est 2012, pas 2021 ! »

Désiré Mandilou est en colère. L’étude de faisabilité de la monnaie unique africaine aurait été confiée à la Banque centrale européenne. Economiste en chef à l’African Advisory Board, auteur du livre L’économie de partage en Afrique, publié à l’Harmattan, il est en colère et entend mobiliser toute l’Afrique contre une telle décision.[...]Les Africains doivent se rappeler que les mêmes pays, hier colonisateurs, ont naguère essayé de ralentir l’émergence de la puissance chinoise. Elles ont échoué parce que le peuple chinois a eu un leadership politique d’une exceptionnelle intelligence
Les Afriques : L’Association des Banques centrales africaines aurait décidé de confier l’étude de faisabilité de la monnaie commune africaine à la Banque centrale européenne. Qu’en est-il exactement ? En tant qu’auteur d’un ouvrage sur le sujet, qu’en pensezvous ?

Désiré Mandilou : Par sens de la mesure, je dirais que cette décision n’honore pas ceux qui l’ont prise. La monnaie est l’une des trois manifestations de la souveraineté d’une nation libre, les deux autres étant la production d’un droit national et l’organisation d’une défense nationale. Ces trois dimensions délimitent le champ de la souveraineté. Toute décision de nature à céder à de tierces puissances une dimension essentielle de la souveraineté, comme la monnaie, relève de la haute trahison. Il n’existe pas dans l’histoire connue de
« Nous sommes appelés à devenir la première puissance économique du monde. Notre émergence économique sera peut-être plus fulgurante que celle de la Chine. »
l’humanité, un pays et, a fortiori, un groupe de pays ayant fait un appel d’offres pour la création de sa monnaie. Il ne s’agit pas de la construction d’un pont ou d’une centrale électrique. Il s’agit de construire une monnaie commune africaine, c’est à dire de donner à toute la production du continent un équivalent général, une langue commune, pour dire la richesse du continent. Avec la monnaie commune africaine, l’Afrique pourra enfin faire ses propres choix de développement, asseoir sa croissance sur la demande africaine, c’est-à-dire sur les immenses besoins non satisfaits à ce jour, par une offre africaine de produits manufacturés et de services à haute valeur ajoutée. L’Afrique vient de dépasser le milliard d’habitants. Selon les prévisionnistes, nous serons près de deux milliards en 2050, c’est-à-dire dans à peine quarante ans. Nous sommes en train de devenir le continent le plus peuplé du monde. Rien qu’à ce titre, nous sommes appelés à devenir la première puissance économique du monde. Notre émergence économique sera peut-être plus fulgurante que celle de la Chine. A condition, évidemment, d’en avoir l’intelligence stratégique. La monnaie commune est une pièce essentielle de cette prise de pouvoir économique par l’Afrique. Il est urgent, vital, que le continent le plus peuplé du monde dans une quarantaine d’année se donne, dès aujourd’hui, une monnaie au service des formidables défis auxquels il doit faire face. La monnaie commune africaine doit voir le jour le 1er janvier 2012 au plus tard. Il ne s’agit plus de spéculation intellectuelle, mais d’une perspective pratique, dont nous connaissons les étapes, dont nous pouvons établir l’agenda.
LA : Cette décision ne risque-t-elle pas de retarder l’échéance ?
DM : Mais la messe n’est pas dite ! Primo, nous attendons encore à ce jour le communiqué officiel de cette association, dont le siège est dans les murs de la BCEAO à Dakar. Suivez mon regard. L’information nous est parvenue à travers un compte rendu effectué par un journaliste congolais. Un économiste africain de renom international, François Ndengwé, dont les travaux sur la monnaie africaine font autorité, a pris contact avec cette association pour obtenir le communiqué officiel de cette réunion, sans suite à ce jour. Si le dispositif francophone de vassalisation du continent croit pouvoir agir dans l’ombre, à l’insu des peuples africains, il se trompe. Nous comptons donner à cette malheureuse décision la visibilité qui s’impose. La rendre nulle et sans effet. Qui donc a mandaté cette association pour engager tout le continent ? Les gouverneurs des Banques centrales du Nigéria, de l’Afrique du Sud, du Kenya, de l’île Maurice, de Libye ou du Ghana, etc. ont-ils véritablement donnés leur quitus à cette décision ? L’ère des accords secrets qui engagent des peuples, sans aucune consultation des sociétés civiles, est révolue.
Secundo, l’Union africaine a réuni en congrès, du 2 au 6 mars 2009 à Nairobi, près de trois cents économistes africains sur la question de la monnaie. Des propositions ont été faites. Jusqu’à ce jour, ni le Bureau du congrès, ni la Commission économique de l’Union africaine n’ont réussi à formaliser une perspective immédiatement opérationnelle. Si la commission économique de l’UA est paralysée par l’enjeu, la difficulté de la tâche, bref, si elle ne sait pas comment faire, nous proposons d’institutionnaliser la synergie entre elle et les compétences africaines disséminés à travers le monde. L’échéance pour la création de la monnaie commune africaine, c’est le 1er janvier 2012, pas 2021 comme le prétend l’Association des Banques centrales africaines.
LA : Qu’est-ce qui pourrait justifier une telle décision ?
DM : Je l’explique par la panique des pays européens, hier colonisateurs, devant l’émergence de la puissance économique de l’Afrique. L’Afrique est la dernière frontière du capitalisme. Les pays déclinants, à populations vieillissantes, à taux de croissances anémiques, de l’ordre de 1 ou 2% quand ce n’est pas la récession –, bref, les pays européens, ont peur de l’inéluctable montée en puissance de l’Afrique. D’où la multiplication des moyens du FMI (de 250 à 750 milliards de dollars). Le FMI sillonne actuellement l’Afrique, toutes vannes de crédit ouvertes, cherchant quels pays ré-endetter pour tout le XXIe siècle, alors que de l’avis de tous, la crise financière internationale n’a que peu touché les pays africains, déconnectés des errements de la finance internationale. D’où les tentatives répétées de freiner le mouvement de l’Afrique par le financement de rebellions ou le recours à l’argument écologique. Aujourd’hui, c’est la prétendue difficulté de créer une monnaie commune africaine. Les Africains doivent se rappeler que les mêmes pays, hier colonisateurs, ont naguère essayé de ralentir l’émergence de la puissance chinoise. Elles ont échoué parce que le peuple chinois a eu un leadership politique d’une exceptionnelle intelligence stratégique, de Mao Tse Toung à Deng Tsiao Ping. Nous avons un urgent besoin de leaders politiques de la dimension de Mandela, pour la libération  économique du continent.
LA : Que comptez-vous faire contre cette décision ?
DM : D’abord nous invitons l’Association des Banques centrales africaines à accepter le débat avec l’expertise africaine. Nous allons organiser un forum, à Dakar, sur la monnaie commune africaine. Nous n’avons pas encore réussi à en finaliser le financement, mais nous y parviendrons. Que tous les Africains, tous les décideurs économiques et politiques africains, toutes les institutions panafricaines prennent conscience des enjeux et participent au financement de ce forum.
« Le FMI sillonne actuellement l’Afrique, toutes vannes de crédit ouvertes, cherchant quels pays ré-endetter pour tout le XXIe siècle. »
En attendant, dès que le communiqué officiel de cette Association de Banques centrales africaines sera disponible, nous saisirons le parlement panafricain, qui en toute logique devrait détenir la légitimité d’une telle décision. Si nécessaire, nous saisirons aussi la cour africaine de justice. L’Afrique s’est dotée d’institutions panafricaines, non pour le décorum, mais pour défendre les intérêts du continent. Il est temps qu’elles soient placées devant leurs responsabilités. Evidemment, cela laisse la place à toute autre forme de résistance populaire africaine.

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