mardi 10 avril 2012

Le Mali dans l’œil du cyclone


Le Mali dans l’œil du cyclone

10 avril 2012 par Odile Tobner
Après la Libye et la Côte d’Ivoire, passées sous contrôle occidental à la suite de guerres menées notamment par l’armée française, on subodorait que le Mali était le prochain sur la liste.
Cela n’a pas manqué : on assiste depuis janvier 2012 à la réactivation de la rébellion du mouvement national de libération de l’Azawad, mouvement sécessionniste revendiquant la partie saharienne du territoire malien.
Puissamment armé, le MNLA a lancé dans le nord-est du pays une offensive victorieuse contre l’armée malienne. Le 24 janvier, à Aguel Hok, les rebelles ont exécuté, dans des conditions atroces, 80 prisonniers de guerre. On peut voir dans ce massacre l’origine du putsch militaire qui a renversé, le 21 mars, le président Amadou Toumani Touré. Depuis février, en effet, des familles de militaires, mais aussi des jeunes, se rassemblent pour dénoncer l’impuissance du chef de l’État, voire sa complicité avec la rébellion, et ces manifestations, parties du camp militaire de Kati, ont gagné Bamako et Ségou.
Les déclarations faites le 26 février par Juppé à Bamako, où il a été accueilli par des manifestations hostiles, n’ont fait que jeter de l’huile sur le feu. Celui-ci s’est dit convaincu qu’il n’y aurait pas de solution militaire à la crise au Nord-Mali, ajoutant : « Il faut donc prendre la voie du dialogue aussi inclusif que possible avec tous ceux qui doivent s’assoir autour de la table et le président Amadou Toumani Touré a confirmé que c’était son intention ». C’était méconnaître totalement la situation ainsi que l’état d’esprit de l’armée et de la population malienne. En pompier pyromane, le même Juppé n’a pas manqué, une fois Touré destitué par de jeunes officiers, de lancer de vertueux appels au retour de la légalité constitutionnelle, demandant à la junte militaire d’organiser des élections.
Pendant ce temps, les vastes étendues du nord sont livrées à divers mouvements groupusculaires, mais surarmés. Outre le MNLA, on a le MPA (Mouvement populaire de l’Azawad) salafiste devenu le mouvement fondamentaliste Ançar Edine, sans compter l’AQMI, qui, ensemble ou séparément, revendiquent de lutter, qui contre l’État malien, qui pour la Charia, contre l’Occident, etc. Les habitants des localités du nord, en butte à leurs attaques ou craignant les représailles, s’enfuient vers le sud ou les pays limitrophes. Une grande partie des 200 000 personnes qui ont ainsi fui les combats vivent désormais dans des conditions critiques sur le plan humanitaire. Le cortège habituel des calamités de guerre s’abat sur un pays qui a le malheur de se trouver pris entre les manœuvres d’une politique française à la gribouille et la convoitise que suscite, chez les grandes puissances, un territoire quasi vide et recelant d’immenses ressources minières encore inexploitées. Une telle situation est propice à la création d’un État-fantôme assujetti, dont on fera au minimum peser la menace sur le Mali s’il ne consent pas à s’aligner sur les mots d’ordre de « protecteurs » intéressés.
On observe en effet que ni la CEDEAO, communauté des États d’Afrique de l’Ouest, ni la France, ni les États-Unis, ni l’Union européenne, si empressés à exiger des putschistes le retour à la légalité républicaine, n’ont demandé aux mouvements séparatistes qui sèment le chaos au Sahara de cesser leurs violentes attaques contre l’État et les citoyens maliens. Il faut croire qu’un Mali rétif aux injonctions des puissances étrangères gêne plus les appétits impérialistes qu’une guerre civile frappant opportunément une région convoitée.

AFRIQUE/MALI] Les raisons françaises de la déstabilisation du Mali


Les raisons françaises de la déstabilisation du Mali
Par Calixte Baniafouna


La France se prépare à déstabiliser le Mali. Et pour cause ? Il y en a trois qui relèvent principalement des raisons classiques : les intérêts « français » et « individuels ».

Des intérêts français, la découverte du pétrole au Mali en est le déclencheur des hostilités. Bamako, 12 mai 2002, aussitôt élu président de la République avec 64,35% des voix au deuxième tour, Amadou Toumani Touré (ATT pour les intimes) fait un rêve, celui de faire du Mali un pays producteur du pétrole. Mais le rêve ne dit pas que l’or noir est un or du diable, qui insère son producteur au rang de la malédiction où d’autres anciennes colonies françaises comme le Congo Brazzaville, le Gabon... sont depuis, tenus en laisse par Paris. Le Mali peut toujours jouer le jeu de la démocratie en organisant des élections crédibles et en assurant des alternances dans la paix tant qu’une goutte de pétrole ne coule pas encore du bassin de Taoudéni
dans le nord du pays. Taoudéni ? C’est à la fois une cuvette dont le dépôt centre atteint plus de 5000 m d’épaisseur et une superficie d’environ 1.500.000 km², soit le plus vaste bassin sédimentaire on-shore d’Afrique occidentale, qui s’étend hors du Mali au Niger, en Mauritanie, au Burkina Faso et en Algérie. Cette précision est d’une importante capitale à noter pour la suite de l’analyse.
Il est de bon augure pour ATT de créer, dès 2004, l’Autorité pour la promotion de la Recherche Pétrolière au Mali (AUREP). Des conventions de partage de production et de concession pour 29 blocs répartis sur cinq bassins sédimentaires sont signées entre le gouvernement malien (9 blocs) et les sociétés de recherche pétrolière pour les 20 autres blocs. Parmi ces sociétés, il y a la compagnie italienne d’hydrocarbure ENI (50%), l’australienne Baraka Petroleum (25%) et l’Algérienne SIPEX (25%), dont les opérations de sondages sismiques des blocs 1, 2, 3, 4 et 9 sont assurées par l’Entreprise Nationale Algérienne de Géophysique (ENAGEO), une filiale de SONATRACH qui est la première des douze sociétés pétrolières d’Afrique. Sans oublier l’apport de 46 milliards de FCFA par PetroPlus Angola, destinés à la promotion de la recherche pétrolière, à l’exploitation, au transport, au raffinage des hydrocarbures liquides et gazeux, et à la formation du personnel technique malien.
Très bien tout cela ! Sauf que dans l’Eden du pétrole d’un pays tenu en laisse par la France, citer ou ne pas citer le nom de Total/Elf est synonyme de consommation d’un fruit qui rend ivre et provoque de grands changements aux consommateurs. Car, présent ou non auprès d’eux, Total/Elf est un serpent toujours présent dans l’Eden du pétrole et dont on ne peut qu’être pénétré de son influence. L’ivraie s’introduit parmi le bon grain ; d’où le péché originel qui expose d’ores et déjà, pour de nombreuses décennies, des générations maliennes entières à en payer le prix.
Deuxième raison de la déstabilisation amorcée du Mali, l’influence géostratégique de la France sur l’Afrique néocoloniale.
Sans pétrole, les Maliens sont aujourd’hui fort différents de ce que, hélas, ils deviendront dans un proche avenir. Leur paisible existence n’est pas le fait de la pauvreté du pays qui les épargnerait du vampirisme de l’ancien colonisateur. Un ancien colonisateur qui, pour poursuivre le pillage de ses anciennes colonies, a toujours utilisé le principe de « diviser pour mieux régner ». Le Mali n’est pas en effet ce pays que l’on présente comme dépourvu des matières premières censées susciter la convoitise des requins occidentaux. Ce n’est pas rien que d’être, comme le Mali, le troisième producteur d’or d’Afrique derrière l’Afrique du sud et le Ghana. Son bétail, son coton, son fer, voire son arachide sont autant de produits d’exportation à forte demande mondiale.
Avec le pétrole, les Maliens recevront bientôt un devenir formel et temporel. Tout ce qui en eux de spirituel actuellement se muera en chair, matière, instrumentalité et réceptivité… exactement comme au Congo Brazzaville ! Larmes et sang couleront bientôt dans la miséricorde d’une France, elle aussi en larmes de crocodile, qui se dira totalement effondrée par la pitié pour ce peuple africain dont elle n’aurait toujours voulu que du bien mais qui aurait préféré vivre dans des souffrances volontaires. Cette pauvre France qui sera encore obligée d’intervenir au Mali comme elle l’a fait en Côte d’Ivoire et en Libye où le peuple savoure désormais le fruit de la démocratie comme jamais il n’en était aussi savoureux dans aucune autre grande démocratie du monde.
Comme en Côte d’Ivoire ou en Libye, le principe de « diviser pour mieux régner » est parfaitement sous orbite au Mali. Objectif : commencer par diviser le Mali en zones nord et sud avec, au milieu des deux zones, des armées étrangères d’interposition (genre Licorne, Casques blancs, Casques bleus…) qui, au nom de la réunification du pays, les occuperont progressivement pour s’y implanter quasi-définitivement, le temps que la France installe durablement ses larbins et s’assure de la mainmise de l’or noir annoncé afin de procéder au pillage avec autant de cruauté que d’avidité. Ficelle de la scission tirée dans la clandestinité depuis Paris et bien d’autres capitales occidentales, les rebelles se sont déjà constitués dans le nord du Mali en un mouvement tribal appelé Azawad. Équipés par les maîtres occidentaux d’une quantité impressionnante d’armes, de munitions et autres matériels de guerre en provenance d’Europe et de la Libye, ils ont lancé les attaques contre les garnisons militaires de la région et occupe actuellement toute la partie nord du pays. Pour affiner la stratégie de la déstabilisation du Mali, le Quai d’Orsay peut sans gêne recevoir à visage ouvert les membres voilés de cette rébellion d’autant que toute forme d’aide qui leur est due ne peut que relever du bon sens, le prétexte étant tout trouvé : le combat contre Al-Qaïda au Maghreb islamique.
La troisième raison de la déstabilisation du Mali par la France, enfin, relève de la mesquinerie d’un homme : Nicolas Sarkozy. De Dominique de Villepin à Mouammar Kadhafi en passant par Laurent Gbagbo, chacun d’eux (du moins pour les survivants) a souvenir que Sarko n’oublie ni ne rate quiconque l’aurait éclaboussé sur le chemin de ses abus du pouvoir au point de réduire en affaire personnelle toute affaire d’État qui oserait contrarier sa vision des choses. Mieux que tout citoyen malien, Nicolas Sarkozy savait parfaitement qu’Amadou Toumani Touré était à un mois de sa retraite politique et ne se présenterait plus à l’élection présidentielle annoncée pour fin avril 2012. Malgré tout, lui laisser partir sans l’humilier passerait Sarko pour vaincu ; d’où le putsch qui n’aura eu ni sens ni fondement. En incitant une partie de l’armée malienne à destituer un président en fin de mandat, Sarko a voulu tout simplement se faire plaisir, montrer qu’il reste le chef et pousser ses obligés (CEDEAO, larbins des palais, etc.) à s’occuper, à se rendre indispensables et à finir par décliner leur impuissance pour les obliger de faire appel à l’éternel sauveur, la France.
Parvenue à ses fins, la France dirait qu’elle n’aurait rien fait en soi qui ne fût un ordre venu des Africains eux-mêmes ou de l’ONU. Vis-à-vis de Nicolas Sarkozy, ATT aura ainsi payé un temps ses doutes dans la manière d’instaurer la démocratie en Côte d’Ivoire et son opposition à l’assassinat de Kadhafi par Nicolas Sarkozy, au nom de la démocratie alors qu’en réalité, les raisons de la haine sont strictement personnelles. ATT humilié, le putsch n’a plus de raison d’être ; les abrutis à l’ordre et au service du maître n’ont plus qu’à rétablir les institutions déclarées caduques il y a seulement quelques semaines et rentrer dans les casernes pour attendre, disciplinés, que l’armée véritable débarque de Paris pour venir tracer les limites de la division du Mali.
En entendant que les larbins d’Abidjan et de Ouagadougou, courroie de transmission via la CEDEAO, transmettent l’ordre venu de l’Élysée pour annexer le Mali au concert des nations non plus de la démocratie initiée par ATT mais de celle de la Françafrique, si chère aux valeurs de la République française. Et ce, pour de longs siècles encore, tant que la « mère patrie » trouvera sur le sol africain des répondants qui sont toujours prêts à passer pour de braves soldats… en fait de piètres serviteurs.