vendredi 18 janvier 2013

« Nous luttons contre des groupes islamistes au Mali ou en Algérie que l'on soutient en Syrie »


Vendredi 18 Janvier 2013 à 15:32 | Lu 1305 fois I   
PROPOS RECUEILLIS PAR RÉGIS SOUBROUILLARD

Ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE, Alain Chouet revient pour «Marianne» sur la prise d'otages survenue sur le site gazier d'In Azemas en Algérie, le parcours du chef présumé des preneurs d'otages, l'opération française au Mali mais aussi l'ambigüité des puissances occidentales vis-à-vis de pays, soutiens financiers de ces groupes islamistes.

AP/SIPA
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Marianne : Qui est Mokhtar Belmokhtar, le chef des preneurs d'otages ? 


Alain Chouet : Mokhtar Belmokhtar c’est quelqu’un que l’on connaissait bien dans les années 90 parce qu'il avait plus ou moins fricoté avec le GIA avant de se reconvertir dans les trafics en tous genres en particulier de cigarettes, ce qui lui avait valu le surnom de « Mr Marlboro », mais aussi de matériels japonais et d’armes puis après de drogues quand les canaux du trafic ont évolué de l’Amérique du Sud vers l’Amérique du Nord puis les côtes africaines. Le tout dans la zone des trois frontières, Mauritanie, Algérie, Mali. Il était dans le grand banditisme. Quand le GIA a du quitter la zone du nord de l’Algérie sous les coups de butoir de la répression, il s’est drapé dans le Drapeau vert parce que c’est plus valorisant de dire « je suis un grand militant islamiste »plutôt que« je suis un grand trafiquant ». Il était le roi du pétrole dans cette zone, jusqu’à ce que d’autres comme Abou Zeïd viennent dans son coin. Ce qui a donné lieu à pas mal de frictions. Par exemple, autour de nos deux jeunes otages tués au Niger, il y a un affrontement entre Mokhtar Belmokhtar et Abou Zeïd. C’est à qui va payer les otages de l’autre car c’est leur principale source de revenus. Ils cherchent d’abord le pognon avant la révolution islamique.  

Certains observateurs évoquent le rôle ambigu des services de renseignements algériens qui auraient participé à sa montée en puissance au sein de la mouvance islamiste ?  

La DGSE a beaucoup travaillé avec les services algériens pour le suivre par différents moyens techniques de la fin des années 90 au début des années 2000. Je ne crois pas à la thèse d’un complot. Mais effectivement, on ne peut pas dire que les services algériens mettaient beaucoup d’enthousiasme à lui courir après. Il y a plusieurs raisons à cela. Les services algériens étaient plutôt satisfaits que l’activisme djihadiste désertent le nord de l’Algérie et soit confiné dans le sud. Sachant qu’ils auraient beaucoup de mal à venir au bout de la « bête », ils avaient plutôt intérêt à le contenir. Je pense aussi qu’un certain nombre d’acteurs algériens étaient impliqués dans ces trafics. Un certain modus vivendi s’était établi. Le problème de la classe politique algérienne, c’est qu’elle est aussi extrêmement divisée sur ces questions. La succession de Bouteflika est ouverte. Il n’y a pas de successeur évident et tout le monde est d’une prudence de serpent parmi la classe politique ou les militaires, qui se confondent souvent. Cela conduit à une forme d’immobilisme.  

Y-a-t-il un moment où il est passé à une phase plus active de terrorisme ?  
  
Non. Il était simplement en concurrence avec d’autres acteurs qui se réclamaient du djihadisme et il a suivi cette voie. Mais je ne crois pas à l’idée qu’il soit un djihadiste slafiste convaincu. Cela reste un bandit de grand chemin. Récemment, il a été éjecté d’AQMI parce qu’il voulait être Calife à la place du Calife, notamment Abdelmalek Droukdel qui n’a plus aucune autorité dans le nord de l’Algérie. Ces derniers temps, Mokhtar Belmokhtar était complètement marginalisé et avec cette opération, il se remet en selle. Il fait de l’ombre à Abou Zeïd qui reste englué dans ses problèmes au Mali. 

Le site gazier d’In Amenas était-il particulièrement menacé ? 

Cela ne faisait pas partie des sites menacés. Mokhtar Belmokhtar et Abou Zeïd étaient beaucoup plus au sud que ça. Il était relativement protégé par l’armée algérienne mais ne s’était rien passé depuis 15 ans, l'armée algérienne ne devait pas être très vigilante. C’est plutôt un endroit où on ne l’attendait pas. La frontière libyenne est assez loin de son territoire de chasse. 

A quoi attribuez-vous cette opération : liée aux effets pervers des frappes contre Kadhafi ou à l'opération au Mali  ?  

Je ne crois pas que ce soit lié à l’opération française au Mali. On ne lance pas une opération comme celle-là sans préparation. Il faut trouver du monde, les former pour ça. Je ne vois pas ça du tout lié aux opérations françaises même si cela leur donne du relief.  

Qu’avez vous pensé de l’opération des militaires algériens qui a fait l’objet de nombreuses critiques notamment de la part des dirigeants de pays dont certains ressortissants étaient pris en otage  ?  

Elle est effectivement beaucoup critiquée mais je ne vois pas ce qu’ils pouvaient faire d’autre. Il n’y a pas grand chose à négocier avec ce genre de kamikazes. Et les algériens comme toujours, ne font pas dans la dentelle, comme les russes. Ce sont des pays où l’intérêt national prévaut sur les intérêts particuliers. Quant à savoir si des forces d’élites françaises auraient été plus qualifiées pour ce genre d’opérations, c’est difficile à dire. L’opération de « sauvetage » de Denis Allex en Somalie ne plaide pas en ce sens. Libérer des otages par la force, c’est toujours une opération qui a 90% de chances de ne pas réussir. Les ravisseurs sont toujours plus près de l’otage que les sauveteurs. Alors quand vous avez 600 otages ! 

L’Algérie a annoncé la fermeture de ses frontières. Qu’est ce que cela signifie ?  

C’est une plaisanterie ! Comment voulez-vous fermer plus de 1.500 kilomètres de frontières. Ils peuvent développer des matériels de détection de mouvements, imagerie etc. ou concentrer plus de moyens matériels dans cette zone mais rendre cette frontière étanche est impossible.  

Justement que pensez vous de l’opération au Mali ? 

Il fallait la mener vite. Le Mali ce n’est ni l’Afghanistan, ni l’Irak, encore moins le Vietnam. Les agresseurs ne sont pas comme des poissons dans l’eau comme l’étaient les talibans en Afghanistan. Le terrain n’est pas le même, ce n’est pas une guerre de montagne, une guerre de jungle ou une guerre de ville. Les villes maliennes ne sont pas des refuges. Je pense que cette opération est pour le moment plutôt bien menée. Je suis assez optimiste en ce qui concerne la capacité d’encaissement des groupes djihadistes. Je crains plus qu’ils s’évaporent dans la nature pour revenir un peu plus tard.  

On parle déjà de Sahelistan avec le risque de déstabilisation de tout l'ouest du Sahel... 

Nous ne sommes plus dans un conflit avec Al Qaïda historique et l’affrontement de régimes occidentaux qui soutenaient des régimes arabes. J’estime que ce sont des problématiques locales qui relèvent du grand banditisme, l’accaparement de la rente au niveau local. Si Ansar dine ou d’autres se sont proclamés islamistes c’est parce que le MNLA ou les irrédentistes touaregs étaient laïcs. Quand ils sont rentrés de Libye, le créneau de l’indépendantisme touareg était déjà occupé. Il leur fallait une légitimité supérieure au MNLA et l’affirmation religieuse a servi à ça.  

Les conflits successifs ne donnent-ils pas l’impression qu’il va falloir crever régulièrement des abcès terroristes ? 

C’est tout à fait possible. Mais les occidentaux ne sont pas clairs dans ces affaires. Nous luttons contre des groupes islamistes au Mali que l’on soutient en Syrie. Ce n’est pas une politique lisible. C’est pour cela que je suis en revanche opposé à une intervention en Syrie, cela fait longtemps que les démocrates sont passés à la trappe au profit d’islamistes soutenus par le Qatar et l’Arabie Saoudite.  

Quels sont les liens entretenus par le Qatar et l’Arabie Saoudite avec ces groupes islamistes locaux ?  

Nous n’avons pas de preuves d’un soutien financier du Qatar à ces différents groupes et vous n’en trouverez pas mais tout le monde en est à peu près convaincu. C’est d’ailleurs tout ce qu’il peut apporter et le Qatar est en concurrence directe avec l’Arabie Saoudite dans ce soutien aux groupes islamistes. C’est à qui donnera le plus d'argent. L’émir du Qatar est arrivé à Gaza  avec 400 millions de dollars dans les poches, l’Arabie Saoudite avait apporté 40. Tout le monde est très suiviste dans ces affaires. Nous nous indignons de l’absence de démocratie en Tunisie ou ailleurs, mais rien sur l’Arabie Saoudite ou sur le Qatar. Le problème est d’abord chez nous, nous nous engageons dans des conflits contre des groupes islamistes en partie financés par des pays que nous traitons comme des alliés …