Le général mathias Doué explose.
L'INTER, QUOTIDIEN IVOIRIEN D'INFORMATIONS NATIONALES ET INTERNATIONALES
Général, on a annoncé votre retour au pays pour le 20 octobre et finalement vous n’êtes plus rentré. Qu’est-ce qui s’est passé ?D’abord, je vous remercie pour l’occasion que vous m’offrez de donner certaines informations à nos compatriotes. A propos de mon retour, c’était effectivement prévu pour le 20 octobre, mais cela ne pouvait se faire qu’à la condition que les autorités ivoiriennes répondent aux différentes correspondances que leur ont adressées les responsables du CRI (Congrès pour la renaissance ivoirienne, parti dirigé par Jean Enoc Bah, ndlr), dans lesquelles ceux-ci réclamaient des garanties de sécurité. Ces questions n’ayant pas été résolues, les responsables du CRI m’ont donc recommandé d’attendre qu’une suite favorable leur soit donnée, avant que je me décide à rentrer au pays. Voilà ce qui s’est passé.
Lors de l’audience qu’il a accordée récemment aux ressortissants de Douékoué, le président de la République a déclaré qu’il ne vous reprochait rien et que vous aviez été limogé par mesures administratives. Comment réagissez-vous à ces propos du chef de l’Etat ? (Rire). Vous savez, je connais le président Laurent Gbagbo depuis 1967, c’est un aîné. J’ai commencé à le pratiquer de manière effective et constante depuis 2000, année à laquelle il m’a fait l’honneur de me nommer à la tête de son armée. Je ne vous apprends rien, vous savez quand vous êtes habitué à un chef et que vous le connaissez, il faut aller au delà de ce qu’il dit pour décrypter ce qu’il ne dit pas. Les événements se sont passés en novembre 2004, à l’issue de ce que j’ai cru comprendre comme un accident opérationnel. J’ai été limogé le 13 novembre 2004. Le soir du 13 novembre, ma résidence a été entourée par des chars appartenant à la garde républicaine. Il a fallu l’intervention d’un membre de l’entourage du président de la République auprès du ministre de la Défense pour que je m’informe de cette situation que je trouve au demeurant anormale, lequel a donné des instructions pour que l’unité passe de la position A à la position B, dans un périmètre de 100m. Alors s’il s’agit de mesures administratives, je l’admets, mais ce que je ne comprends pas, c’est la mesure despotique qui a suivi après et qui consiste à faire entourer la résidence du CEMA par des blindés. Bien avant que je sois limogé, au moment où les incidents ont éclaté, une unité de gardiennage relevant du palais, est venue se positionner au nez de ma résidence. Il a fallu un membre de la garde rapprochée du président de la République pour attirer mon attention sur le coup qui se préparait contre moi. Il m’a dit : mon général, il y a un dispositif qui a été mis en place pour qu’on vous assassine, si vous ne prenez pas vos responsabilités pour faire partir ce dispositif de là, dans les 72h qui arrivent, vous n’êtes plus là. C’est une personne à qui j’ai rendu d’énormes services par le passé et qui est dans l’entourage du président ; et cette personne n’est pas de mon ethnie. J’ai mené des enquêtes et j’ai pris contact avec le patron de cette unité de gardiennage qui est venue s’installer à deux pas de ma résidence. Il s’agit de l’un de mes condisciples de l’école primaire, un capitaine de gendarmerie à la retraite, et je lui ai fait remarquer que ce n’était pas sérieux de sa part ; il a démonté son dispositif et il est parti. Le soir même de mon limogeage, une autre personne est venue me dire de partir de ma résidence cette nuit-là avec mon épouse parce qu’il se prépare un projet d’assassinat contre ma personne et ma famille un peu comme ce qui se serait passé avec la famille du général Guéi Robert. Je n’y ai pas cru, parce que je ne comprenais pas le bien-fondé d’une telle action dans la mesure où je ne me reprochais rien du tout concernant l’incident de Bouaké. Nous n’avons donc pas bougé. Le lendemain, c’est-à-dire jeudi, aux environs de 20h, je reçois la visite du directeur de cabinet du ministre de la Défense, accompagné du directeur de l’hôpital militaire d’Abidjan, qui sont venus me remettre l’équivalent de mon billet d’avion et celui de mon épouse et de nos frais de déplacement, de la part du président de la République, qui me mettait en congé et m’autorisait à me rendre aux Etats-Unis auprès du reste de ma famille. J’appelle le ministre de la Défense pour lui rendre compte de la situation et le remercier. Je n’ai pas réussi à joindre le président de la République. Le surlendemain, c’est-à-dire le 15 novembre 2004, aux environs de 23h, quelqu’un m’appelle de la résidence du président pour me dire de dégager immédiatement de ma résidence avec ma garde et ma famille, parce qu’aux environs de 1h du matin, c’est-à-dire dans la nuit du 15 au 16 novembre, un commando débarquera chez moi pour me liquider moi et ma famille comme ça été le cas de la garde et de la famille du général Guéi Robert. Je demande à la personne, que je connais bien : de qui tenez-vous cette information ? La personne me répond qu’elle vient de participer à une sorte de conseil de guerre qui a été présidé par le président de la République en personne et m’a donné les noms des officiers chargés de mener cette opération, qui ne sont autres que ceux qui ont mené l’opération contre le général Guéi Robert et son épouse. Juste une heure après, aux environs de minuit, je reçois la visite d’un autre qui est venu me rapporter la même information et qui précise les détails d’exécution. Nous prenons contact avec un ami, qui un peu plus tard, vient nous exfiltrer pour nous mettre en sûreté dans la partie sud d’Abidjan. Et quand nous sortions, nous constatons qu’il y a effectivement un cordon de blindés qui était en train de se mettre en place autour de ma résidence. C’est comme cela que nous avons quitté la maison. Nous sommes restés quelque temps là on nous avait mis en sécurité et quelque temps après ma femme est rentrée aux Etats-Unis rejoindre nos enfants. Nous sommes toujours en 2004. Moi, je reviens à la maison où je m’installe avec ma sécurité rapprochée. Une heure après, je reçois un appel du président de la République. Il me fait savoir que c’était pour savoir si j’étais là et comment je me portais. Puis il raccroche. ( Il se met à rire). Quelques minutes après, la ligne est coupée. Renseignement pris, c’était juste le temps nécessaire pour me mettre sur écoute. Deux heures après, la communication est rétablie. Et dans les mêmes circonstances de temps, je reçois un élément qui appelle de Yopougon au moment où on vient de couper la lumière dans mon quartier. Et il me demande si on a coupé la lumière dans mon quartier. Je lui réponds que la lumière vient d’être coupée, il y a à peine cinq minutes. Il me dit : mon général, partez de la maison, parce qu’au moment où je vous parle, je suis avec un commando qui ignore les relations que j’entretiens avec vous, et qui a été commis de venir vous liquider à la maison chez vous, aux environs de minuit. C’est dans ces circonstances que je suis parti de la maison.
Et qu’est-ce qui s’est passé par la suite ? En janvier, le président de la République perd son père. Malgré tout ce qui s’était passé entre nous, je me suis dit que pour avoir été son chef d’Etat-major et vu les relations personnelles qui nous ont liés, je me devais d’aller lui présenter les condoléances. On m’indique la procédure à suivre. Et le jour-j, je me rends au domicile où sont reçues les condoléances, deux heures avant l’heure que j’ai donnée. Et en sortant de la maison, un élément m’appelle pour me rendre compte des mouvements autour de ma résidence. Je savais que quelque chose se préparait. Il y a avait un mouvement impressionnant de forces de sécurité, qui venait de partout et qui a commencé à encercler le quartier. Ensuite, par cercles concentriques, ils sont arrivés jusqu’auprès de ma maison. Et au moment où nous étions sur le point de partir, le garde du corps de la personne à qui nous partions présenter les condoléances, qui était dans mon dos, manipule son portable et la passe à la personne qui est censée nous recevoir et j’entends au bout du fil la voix du président de la République. Qui dit (il imite la voix du président Laurent Gbagbo, ndlr) : Allô, frère, ça va ; je t’envoie quelqu’un qui va t’indiquer la procédure traditionnelle à suivre. Il sera là dans 10 ou 15 minutes. Je dis bon, on attend. 10, 20, 30 minutes passent. J’ai finalement appelé la personne pour lui dire que j’avais une contrainte et que je devais partir. C’est comme cela qu’on est parti de la maison, sous les yeux du dispositif. On apprendra plus tard qu’ils étaient plus de 300, prêts à mettre le grappin sur l’oiseau. C’est comme cela qu’on s’est envolé.
Quel rapport faites-vous entre tous ces faits et les dernières déclarations du président Laurent Gbagbo ?Donc vous voyez que quand le président de la République dit qu’il n’a rien contre moi et que je peux revenir, je dis que c’est mal indiqué. Parce qu’il a déclaré publiquement que moi j’aurais trahi. S’il a mené des enquêtes au terme desquelles il n’a rien retenu contre moi, je trouve qu’il aurait été mieux indiqué qu’il utilise la même procédure et qu’il dise, après vérification de toutes les informations qu’il a reçues sur moi, que rien n’était retenu contre moi. Et qu’il m’autorise à rentrer et prend la responsabilité d’assurer ma sécurité. C’est comme cela qu’il aurait dû procéder, selon moi. Comme Houphouët Boigny l’a fait en 1991 quand on m’avait encore accusé de vouloir fomenter un coup d’Etat et qu’on m’avait enfermé pendant 101 jours. Le président Houphouët a mené son enquête pendant plus de trois mois. Il a convoqué une réunion de toute la hiérarchie militaire et en présence de celui qui m’a accusé de ce que je n’avais pas fait, il a déclaré qu’il n’avait rien contre moi. C’est ce que j’appelle le prince ; lui, c’était un prince, il est le symbole de la justice. Il avait de la considération pour la personne humaine. L’un des points qui divisent le président de la République et moi, c’est de ne pas protéger ses hommes quand ils sont victimes de mensonge. On a l’impression qu’il se délecte de toutes les injustices que nous fait subir son entourage immédiat. Comment pouvez-vous imaginer que ses éléments, ces petits voyous, aillent tabasser des magistrats sur leur lieu de travail et qu’il ne dise rien ? Trouvez-vous normal que les soldats qui sont placés sous notre commandement viennent à la télévision nous insulter ? On n’a jamais vu cela ! C’est lui qui nous fait cela aujourd’hui, lui, Laurent Gbagbo ? C’est ainsi que les généraux Touvoly, Bombet et moi avions décidé de lui présenter notre démission, qu’il a rejetée. On lui a dit : on vous respecte pour la fonction que vous exercez, mais on n’a pas peur de vous ! On vous respecte pour la fonction que vous exercez, mais nous sommes des généraux, de quoi aurions-nous peur ? On lui a dit, ce n’est pas comme cela qu’on dirige un pays. Vous venez d’être président de la République , mais nous nous sommes là depuis 1968. Vous êtes venu nous trouver ; nous sommes les fondations de la République. Nous ne faisons pas ce que les autres font, on n’a pas cette culture ; on n’a pas cette éducation. Vous faites des choses qu’on ne fait pas. Dans aucune armée du monde, je n’ai jamais vu ce que vous êtes en train de faire.
A vous écouter, doit-on en déduire qu’il ne faut pas croire le chef de l’Etat quand il dit qu’il ne vous empêche pas de rentrer au pays parce qu’il n’a rien contre vous ?Je vous dis qu’il ne faut pas croire ! Je suis catégorique ! L’attitude du président de la République s’apparente à celle d’un chat qui a mangé toutes les souris et qui n’arrivait pas à manger une dernière. Et cette souris, qui s’est rendu compte de la stratégie du chat, se cache. C’est alors que le chat décide de changer de stratégie et se met à aboyer. Ainsi, la souris se dit que le chat n’est plus là, rassurée qu’elle est par les aboiements de chien. Elle se dit que le chien ne mangeant pas de souris, elle peut sortir. Et l’instant d’après, une masse sombre jaillit de l’obscurité et s’abat sur elle. Et le chat de dire : espèce d’imbécile, j’ai trente ans de carrière, il faut bien que ça me serve à quelque chose. ( Il se met à rire) . Quand on connaît son homme, on sait comment se comporter avec lui. Sinon comment expliquez-vous qu’il ait tenté de me faire arrêter alors que je partais lui présenter mes condoléances à sa famille.Mais, général, quand on s’engage en politique, il faut s’attendre au pire Je ne sais pas ce que vous entendez par pire. Est-ce que vous voulez parler d’assassinat politique, est-ce bien cela ? Ce sont des choses qui arrivent, mais il ne faudrait pas que ce soit un mode de gouvernement dans notre pays. Le CRI est un parti social démocrate et si nous avions en face, des gens qui pouvaient comprendre l’avantage qu’ils peuvent en tirer. Le CRI prône la bonne gouvernance dans un pays béni comme la Côte d’Ivoire ; créer un cadre à l’intérieur duquel toutes les dispositions constitutionnelles sur lesquelles le président a prêté serment le 26 octobre 2000, soient respectées. Il avait dit : je jure solennellement et sur l’honneur, devant le peuple souverain de Côte d’Ivoire, de défendre la Constitution, de respecter les droits élémentaires du citoyen...Ce n’est donc pas normal que la violence et le crime soient érigés en mode opératoire dans notre pays.
Il nous est revenu que votre compte a été bloqué et vos véhicules de fonction confisqués. Qu’en est-il réellement ? Avant de vous répondre, je voudrais poursuivre ce que je disais tout à l’heure. Nous au CRI, ne voulons pas que les antagonismes idéologiques ou les querelles pour la conquête du pouvoir soient toujours réglés par les armes et dans la violence. C’est pourquoi nous n’admettons pas que le général Guéi ait été assassiné. On pouvait l’arrêter et le traduire devant les juridictions. Pourquoi on empêche les gens de parler en les liquidant. A propos de mes comptes, j’ai vérifié : tous mes comptes sont bloqués et ma solde n’a pas été virée depuis janvier 2005. Mes véhicules de fonction sont saisis. Voilà comment on nous traite, nous militaires de la République, voilà comment on nous traite ! Comme des bons à rien, ce n’est pas normal ! Nous aspirons à passer une retraite paisible et à mettre à profit la petite expérience que nous avons accumulée en quarante ans de service. Aujourd’hui, on me traite comme un opposant politique. Ce sont eux qui m’ont poussé à la politique et je la ferai de manière légale, régulière.
Est-ce que vous avez eu un contact, ne serait-ce que téléphonique, avec le président Laurent Gbagbo ou ses émissaires par rapport à votre retour au pays ? Je n’ai eu aucun contact avec le chef de l’Etat ni avec aucun de ses émissaires. Mais les responsables du CRI, eux, ont engagé des démarches auprès du cabinet du Premier ministre, auprès du représentant du facilitateur à Abidjan. J’ai foi en l’aboutissement de leurs efforts afin de faciliter mon retour. Cela est d’autant plus nécessaire que c’est étant à la retraite qu’un officier peut donner le meilleur de lui-même, étant désormais dégagé des contraintes liées à sa fonction.
On s’explique difficilement que vous soyez encore à l’extérieur quand on sait qu’une loi d’amnistie avait été prise dans le cadre de l’accord de Ouaga et qui favorise le retour d’exil de tous les militaires à l’extérieur. Je crois savoir qu’une amnistie ne concerne que des personnes qui ont commis des infractions. Or, tout récemment, on vient de dire que je n’ai pas commis d’infractions. Même si cela a été dit dans un cadre que je qualifierai d’informel. Mais entre la période de la signature de l’accord de Ouaga et le moment où l’on a dit que je n’ai pas commis d’infraction, on a dit sur les antennes des radios étrangères, que j’ai trahi. Pour moi, il y a une contradiction qui mérite éclaircissement. Je n’aime pas les situations ambiguës. Je rends grâce à Dieu d’avoir créé le CRI et avoir mis en place un staff.
Vous revendiquez donc la création du CRI ? C’est la société civile qui a créé le CRI et qui a porté son choix sur moi. Et j’estime que cette solution saine, permet de compétir. Je n’ai rien contre personne ; je n’ai rien à me reprocher.
Général, vous êtes souvent cité dans des projets de coups d’Etat. Comment réagissez-vous à ces accusations ?( Rire). Je vous répondrai simplement que si vous prenez l’histoire de la Côte d’Ivoire, vous vous rendrez compte que ce ne sont pas les généraux qui font les coups d’Etat. Remarquez bien. La première tentative date des années 70-77. La deuxième tentative date de 81. La troisième, celle qui était vraiment sérieuse, c’est celle de 1990 ; la première mutinerie de l’armée ivoirienne, du temps où je commandais Akouédo, c’était une véritable tentative de coup d’Etat, qui a échoué. En 92, il y a eu l’assaut final, ce n’était pas un carnaval de Bouaké ; c’était une tentative de coup d’Etat. Ensuite, il y a eu une tentative en 95, qu’on a appelé le boycott actif. Il y a eu enfin le coup d’Etat de 99, qui n’a pas été fait pas le contre-amiral Timité ; c’est venu d’ailleurs. Dans les écoles que nous avons fréquentées, on ne nous inculque pas cette culture de coup d’Etat. C’est incompatible avec notre éthique d’officier ; c’est le cadet de nos soucis. Bien au contraire, nous sommes dans cette armée pour stabiliser les institutions, pour assurer leur pérennité.
Vous êtes donc fondamentalement opposé au principe de coup d’Etat ? Avant de vous répondre, je vais donner d’autres précisions parce que je vois ce à quoi on fait allusion quand on parle de tentative de coup d’Etat. J’ai appris beaucoup de choses. On a raconté que les Français auraient essayé de renverser le régime pour me remettre le pouvoir et qu’au dernier moment, j’ai pris la poudre d’escampette. Est-ce que ceux qui disent cela sont sérieux ?. En tant que chef d’Etat-major, je ne conçois pas qu’on poignarde le prince dans le dos. Par principe d’éthique. A cette époque, pour qu’il y ait coup d’Etat, il faut qu’il y ait collusion entre les unités de commandement. On n’en a même pas parlé et on ne pouvait pas oser en parler. Ce serait se faire hara-kiri. C’est pour cela que j’ai toujours eu la conscience tranquille. Pour qu’il y ait coup d’Etat, la décision se prend au niveau de cinq personnalités qui constituent ce qu’on appelle la main d’exécution, ce sont celle-là qui donnent des instructions à ceux qui sont sur le terrain. Vous vous imaginez la France, sous mandat onusien, en train de renverser le chef d’Etat ivoirien, vous imaginez les répercutions sur le plan international. Et puis, même si la France avait tenté quelque chose, elle aurait échoué parce que la hiérarchie militaire autour de moi l’aurait fait échouer. Par ailleurs, laissez-moi vous dire que nous n’avons pas la culture des coups d’Etat ; ça ne fait pas partie de notre éducation, de notre éthique. On a aussi dit que j’étais dans un char au moment des événements de l’hôtel Ivoire. Je ne sais pas si quelqu’un peut passer 15 minutes enfermé dans un char sous nos tropiques ; ce n’est pas un hôtel cinq étoiles. Quand le président Mamadou Koulibaly m’a appelé ce jour-là, j’étais au bureau et je suis parti. Quand on est arrivé à la hauteur de l’hôtel Ivoire, je lui ai proposé de prendre un bain de foule. Et pendant qu’on prenait le bain de foule, j’ai entendu des gens dire : ce n’est pas le général Doué qu’on dit être dans le char qui est devant nous ?. C’est pour vous dire que tout cela, c’était un montage.
Général, dans l’une de vos interventions, vous disiez que le problème de la Côte d’Ivoire, c’était le président Gbagbo et que vous veniez le chasser du pouvoir. A vous entendre aujourd’hui, peut-on dire que vous avez révisé votre position ? Je n’ai pas du tout révisé ma position. Vous savez quand vous tirez un obus et qu’il est parti, vous ne pouvez plus le rattrapez. C’est le principe d’action. Si on va aux élections, je le battrai ! Cela vous paraît bizarre, mais vous verrez qu’il y a des mystères dans les élections. Je vous le dis, si on va aux élections, je vais le battre ! Pourquoi je dis qu’il est le problème de la Côte d’Ivoire. Le président Laurent Gbagbo est un homme foncièrement bon, mais malheureusement il y a un mode opératoire dans sa gouvernance que nous ne comprenons pas. Mais d’où lui vient d’accepter certaines cruautés qui s’exerce sur les populations. Comment peut-il admettre que des gens aillent battre des magistrats au tribunal ? Comment peut-il admettre qu’on bastonne des officiers, des généraux ?
Que savez-vous de l’assassinat du général Robert Guéi ? Quand, après le coup d’Etat de 99, on a pris le pouvoir, on s’est mis d’accord au niveau du CNSP (comité national de salut public, la junte au pouvoir sous la transition militaire, ndlr) pour qu’il ne soit pas candidat. Pour l’en dissuader, je lui ai rappelé un verset biblique, l’évangile selon saint-Jean, chapitre premier du prologue. Et quand on a vu que le général a commencé à faire acte de candidature à l’insu des membres du CNSP, on a tenu une réunion à Yamoussoukro pour lui dire quelle stratégie adopter. On lui a dit s’il venait à être candidat et qu’il perd les élections, qu’il consente à se retirer pour l’honneur du CNSP. Il ne nous a pas écouté. Et est arrivé ce qui est arrivé. Quand dans la nuit du 24 au 25 octobre 2000, ils ont commencé à tirer à Akouédo et que le lendemain, les gens ont commencé à déferler sur le Plateau, j’ai craint pour la vie du général et pour le palais présidentiel. Je ne voulais pas que le sang coule sur l’esplanade de la présidence. J’ai donc fait venir un hélicoptère et je lui ai dit : je t’avais prévenu et tu ne voulais pas m’écouter. Mais je serai avec toi pour te sauver la vie. Et c’est comme cela qu’il est parti avec l’hélicoptère. En 2002, quand les événements ont éclaté, je ne savais pas que le général était à Abidjan. C’est plus tard qu’on a appris qu’il a été pris par des éléments proches de la garde présidentielle et conduit dans la résidence d’une autre autorité vers Cocody, avant d’être retrouvé mort. Quand j’arrivais à la résidence du général Guéi, j’ai trouvé le corps de sa femme, Rose Doudou dans un caniveau. Je n’ai appris la mort du général Robert Guéi que lorsque j’étais à Yopougon. J’étais étonné qu’il soit à Abidjan. Je n’y suis donc pour rien dans l’assassinat de Guéi et le massacre de sa famille. Je rentrerai un jour au pays pour répondre à ceux qui s’amusent à dire que j’ai tué le général Guéi.
Maintenez-vous votre candidature à la prochaine élection présidentielle ?Je maintiens ma candidature.
Et si on vous demandait d’y renoncer si vous vouliez rentrer au pays ?Ce serait une violation flagrante et inimaginable des droits humains. C’est comme si on me demandait de renoncer à ma femme pour venir dans mon pays.
Le président Laurent gbagbo a coutume de dire que la politique est un métier. Qu’est-ce que le militaire de carrière que vous êtes, vient y faire ? C’est le président de la République qui a fini par me donner le goût de la politique. Il a contraint la politique à aller vers moi. La politique ne nous est pas interdite si on peut apporter un plus. On peut vendre du riz comme on peut faire la politique.