mercredi 24 octobre 2007

Achat de l’usine de fulton: les revelations de jeune afrique

Jeune Afrique du 21 octobre au 03 novembre 2007

Le deal a été conclu dans la nuit

L « affaire Fulton », du nom de la ville de l’Etat de New York qui abrite l’usine de fabrication du Grunch, ressemble à un véritable trhiller avec, comme acteurs principaux, les représentants des planteurs à la tête de l’une des principales structures de gestion de la filière café cacao, le Fonds de régulation et de contrôle (FRC), des industriels ainsi que de proches conseillers du chef de l’Etat ivoirien Laurent Gbagbo. Et, comme guest star la sénatrice démocrate Hillary Clinton, l’ex-première dame américaine. L’affaire embarrasse les autorités des deux côtés de l’Atlantique. Car elle aurait englouti quelque 16 milliards de Fcfa (24,4 millions d’euros) – 100 milliards de Fcfa, selon la presse ivoirienne.
A l’origine, une banale histoire de délocalisation : le groupe Nestlé décide fin 2002 de fermer son usine de Fulton pour ouvrir un complexe similaire au Brésil. Objectif : faire des économies d’échelle. Jean-Claude Amon, alors conseiller du président Gbagbo au développement industriel, flaire la bonne affaire. Il se rapproche d’un de ses compatriotes ivoiriens implanté de longue date aux Etats-Unis, Hausmann-Alain Banet, et le charge de réaliser, pour 250.000 dollars, une étude minutieuse du potentiel de l’usine. Cet ancien du cabinet Ernest & Young, Ousmann-Alain Gbané de son nom d’origine, a pris la nationalité de son pays d’accueil et un nom occidental, plus facile à porter au lendemain des attentats du 11 Septembre 2001. Il est le représentant du fonds de pension Lion Capital Management Group (LCMG) à New York. Son audit est très favorable à la reprise de cette usine.
L’affaire, qui ressemble à un trhiller financier, pourrait devenir un scandale politique. Mieux, il souhaite associer LCMG au projet, promet de faire jouer toutes ses relations pour obtenir le complexe au meilleur prix et convaincre ses associés américains. Avant de se lancer dans une campagne de lobbying.
A Abidjan, Leila N’Diaye, la fille de l’ancien président de la Banque africaine de développement (BAD), Babacar N’Diaye, représentante spéciale du chef de l’Etat, et Jean-Claude Amon, sont chargés de monter le dossier de rachat. On pense d’emblée au Fonds de régulation et de contrôle (FRC), piloté par Angeline Kili, proche du Front populaire Ivoirien (FPI, au pouvoir). Sur le principe, il n’y a rien à redire. Le président Gbagbo exaucera ainsi le vieux rêve de tout planteur : maîtriser son produit du champ jusqu’à la commercialisation, engrangeant au passage toute la valorisation industrielle. C’est aussi une occasion unique de montrer à la face du monde comment un Petit Poucet, de surcroît en proie à une grave crise politico-militaire à rebondissements, va épargner à la première économie de la planète une délocalisation coûteuse en emplois. Et s’attirer ses faveurs. Mais il faut aller vite pour ne pas rater une affaire sur laquelle lorgnent d’autres concurrents, notamment la société financière Island Capital Venture.
Dès juillet 2003, le gouvernement de Côte d’Ivoire, représenté par Jean-Claude Amon et Leila N’Diaye, passe avec LCMG une convention initiale devant la juridiction du Delaware, un Etat où les impôts sont quasi nuls et le secret bancaire respecté. Ces documents de quatre pages stipule que les associés prendront les décisions en toute confidentialité (voir ci contre le document 1). Parallèlement, les repreneurs obtiennent le soutien des sénateurs démocrates Hillary Clinton et Charles E ; Schumer (voir ci-contre le document 3). Un délai supplémentaire est demandé, avant la mise en vente des équipements et du terrain de l’usine pour permettre à LCMG ainsi qu’à son partenaire de rassembler les fonds nécessaires. En retour, les politiques promettent d’accorder d’importants allégements de charges fiscales au groupe suisse. Finalement, Nestlé cède le terrain et les murs pour une somme symbolique au comté d’Oswego (comté de l’Etat de New York qui abrite l’usine de Fulton) qui le rétrocède aux repreneurs.
Le gouvernement fédéral et l’Etat de New York accorderont aussi, sous condition de création d’emplois, subvention, prêt et allégements fiscaux à la nouvelle équipe pour près de 38 millions de dollars. Tout est en place. En octobre 2003, Banet créé New York Chocolate and Confections Company (NYCCC) et émet 1000 actions. Il se donne le titre de directeur de la société. L’usine et les équipements sont alors transférés à la nouvelle entreprise. Et 80 % des parts de NYCCC sont réservées au FRC.

Les réserves de Seydou Diarra et Amadou Gon Coulibaly
Mais le partenariat bat très vite de l’aile. Parce que, selon banet, le fonds ivoirien ne remplit pas son engagement initial : l’apport de 40 millions de dollars pour relancer rapidement les activités. A Abidjan, le nouveau Premier ministre, Seydou Elimane Diarra, et le ministre de l’Agriculture, Amadou Gon Coulibaly, demandent des éclaircissements sur une affaire à laquelle ils n’ont pas été associés. Le dossier est abordé en Conseil des ministres et devant le conseil interministériel des matières premières,le 19 Avril 2004. Lequel rend un avis défavorable à l’opération de rachat. Le compte-rendu de la séance fait état de plusierus questions restées sans réponse : pourquoi Nestlé vend –il ? L’équipe ivoirienne a-t-elle la capacité managériale ? Sous quelle marque seront commercialisés les produits ?
Le Bureau national d’études techniques et de développement (BNETD) à Abidjan estime, lui, à 8 milliards de FCFA les investissements nécessaires. Qui va financer ? Le conseil fait également état de nombreux dysfonctionnement au FRC : la direction agit sans en référer au conseil d’administration dont elle n’exécute pas toutes les décisions. Elle ne transmet pas les éléments financiers et les signatures de convention sont tenues secrètes. Autant de raisons qui amènent Amadou Gon Coulibaly et Seydou Elimane Diarra à demander entre autres solutions, la suspension pure et simple de l’opération de rachat (voir page précédente le document 4). Mais il est déjà trop tard.
Quelques jours plus tôt, le 1er mars 2004, le conseil d’administration du Fonds, convoqué oralement et tenu de nuit, a validé par 5 voix contre 4 l’acquisition de NYCCC. Le commissaire du gouvernement, représentant du Premier ministre, n’y a pas été convié. Au cours de cette séance nocturne, Louis Okaingny est nommé président du conseil d’administration de la société. Planteur de métier, il sert de caution morale auprès du monde paysan. Le FRC confie un mandat provisoire de direction de l’usine à Jean –Claude Amon, titulaire d’un master of business aux Etats-Unis, l’un des seuls à parler couramment anglais. A ses côtés, un autre de ses compatriotes qui maîtrise parfaitement la langue de Shakespeare : Yalle Agbré, un ancien représentant de la défunte Caistab (la fameuse Caisse de stabilisation des prix du café et du cacao) aux Etats-Unis, qui s’est vu confier la trésorerie de la nouvelle société.
Un premier versement de 700.000 dollars est effectué pour lancer les opérations. Le 14 mai 2004, une délégation d’officiels conduite par Pascal Affi Nguessan atterrit à New york pour installer la direction de NYCCC et célébrer l’amitié ivoiro-Américaine. Angeline Kili du FRC claironne : « Les planteurs ivoiriens aiment la population d’Oswego. » Jean –Claude Amon et Yallé Agbré sont chargés de relancer les activités.
Deux ans plus tard, l’entreprise n’a pas réellement redémarré faute d’investissements suffisants et, surtout, de politique managériale. Bien n’a vraiment été préparé, l’affaire est vite devenu ingérable, les associés ne sont d’accord sur rien, surtout d’un point de vue financier. Banet souhaite notamment que le FRC rembourse à LCMG l’achat des équipements de l’usine, payer les factures d’électricité et investisse massivement. Soupçonnant des détournements de fonds, il engage des détectives privés pour retracer les transferts financiers. Car le Fonds continue bien à décaisser des sommes importantes, mais ne provisionne pas le compte de la NYCCC, à la Key Bank. L’argent alimente en fit deux comptes ouverts par Yalle Agbré. Qui reconnaît avoir reçu les virements, arguant du fait que la société ne disposait pas, à l’époque, de compte en banque. Mais rejette catégoriquement les allégations de Banet, qui, à l’entendre, se démène pour masquer ses propres agissements. Une bataille d’avocats s’engage. Le FRC prend les devants en saisissant la cour arbitrale du Delaware, afin de valider l’opération de rachat de Fulton, contestée par Banet. Les conseils de deux parties passent trois jours à argumenter. Le 22 janvier 2007, le juge amércain William B. Chandler se trouve dans l’incapacité de trancher. Les explications n’ont pas permis de voir clair dans cette affaire. Il manque surtout des traces écrites, beaucoup d’accords ayant été passés oralement. Le magistrats se contente d’entériner le statu quo : le FRC conserve 80 % des parts de NYCC contre 20 % à LCMG.

Les différents courriers
de Bannet
Banet n’en reste pas là. Il écrit au président Gbagbo le 1er mai 2007 en lui demandant d’intervenir avant que « la Presse ne s’empare du scandale » et va même jusqu’à s’offrir les services d’un « lobbyiste » qui se rend en Côte d’Ivoire. Il informe parallèlement la secrétaire d’Etat, Condoleezza Rice, ainsi que l’ancien ambassadeur des Etats-Unis à Abidjan, Aubrey Hooks, et envoie une autre lettre à Robert Zoellick, président de la Banque mondiale. Décrivant ce qu’il appelle les subterfuges, auxquels le FRC aurait eu recours, Banet parle de détournements de fonds destinés à NYCCC (au bas mot 35 millions de dollars selon LCMG) et demande à la Banque de traiter ce dossier dans le cadre de l’initiative pour le retour des fonds volés (Stolen Asset Recovery-STAR).
En amenant l’affaire sur le terrain médiatique, Banet espère encore un règlement à l’amiable. Sa seule requête : se débarrasser de ses 20 % d’actions contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Cela lui permettrait de faire taire le mécontentement des retraités américains qui ont placé leur argent dans le fonds de pension LCMG et de mettre fin à la bataille judiciaire. Il n’est pas entendu par les dirigeants du RFC, actionnaires majoritaires, qui l’attaquent une nouvelle fois devant la cour supérieure du comité de San Francisco, juridiction abriant aujourd’hui LCMG, pour avoir encaissé des remboursements d’impôts indûment. La justice l’a condamné le 13 septembre dernier à payer 606 000 dollars à NYCCC.
L’affaire, qui ne concerne directement ni Abidjan ni Washington, n’en embarrasse pas moins les Etats-Unis. Le nouvel ambassadeur américain en Côte d’Ivoire, Wanda L. Nesbitt, ne souhaite pas s’exprimer sur un dossier brûlant susceptible de compromettre les intérêts de Cargill, la multinationale américaine qui achète une bonne partie du cacao ivoirien. La Banque mondiale, d’ordinaire plus encline à mener la lutte contre la corruption, botte, elle aussi, en touche sous prétexte qu’il s’agit d’un litige entre opérateurs privés. Alors que, même si ses statuts ne sont pas clairement définis (lire encadré page précédente), le FRC gère de l’argent public, en l’occurrence les redevances perçues sur le commerce des fèves. Selon nos informations, le département américain du Trésor tente tout de même de retracer les virements effectués sur le compte de tierces personnes aux Etats-Unis.
Un dossier qui pourrait ressortir le moment opportun. Mais pas aujourd’hui… le 4 mars 2007, Laurent Gbagbo et Guillaume Soro ont signé l’accord de Ouagadougou pour relancer le processus de sortie de crise avec, à la clé, l’organisation de la présidentielle –au plus tôt au premier semestre 2008. Et au sein de la communauté internationale, on veille à ne pas anéantir un espoir réel de retour à une situation institutionnelle normale. Nouveau Premier ministre aux termes de cet accord, le chef de fils des Forces nouvelles (ex-rébellion) a néanmoins demandé en Conseil des ministres que toute la lumière soit apportée sur ce dossier. Tandis que le Président Gbagbo a demandé au procureur de la République d’Abidjan de se saisir du dossier des malversations présumées dans la filière café – cacao (quelque 400 milliards de FCFA de 2001 à 2006 selon un récent rapport de la Banque mondiale), non sans préciser qu’il ne veut pas « laisser la pagaille s’y installer ». L’Assemblée nationale va également se pencher sur la question, lors de sa session de novembre. Autant dire que l’affaire Fulton, à la veille du congrès du Rassemblement des républicains (RDR, opposition) à la mi-décembre, et d’une campagne électorale qui se profile à l’horizon, pourrait alors prendre une véritable tournure politique.

Un salaire annuel de 150 millions de Fcfa

Jean-Claude Amon (Conseiller de Gbagbo et Directeur de l’usine)

Paru dans Le patriote du 23 Octobre 2007

« C’est moi qui ai pris l’initiative de m’intéresser au projet », confie-t-il aujourd’hui. Quelques semaines auparavant, à Abidjan, un Ivoirien -dont il préfère taire le nom- lui a parlé de cette ancienne usine Nestlé en quête de repreneur. « A première vue, c’était intéressant pour la Côte d’Ivoire », raconte-t-il. Pour s’en assurer, à son retour au pays, il commande une étude de faisabilité à Hausmann-Alin Banet, le directeur de Lion Capital Management Group (LCMG), -rencontré au cours du même séjour aux Etats-Unis- après avoir obtenu l’avale du Fonds de régulation et de contrôle (FRC).
Le projet semblant convaincant, l’idée de créer la New York Chocolate and Confections Compagny (NYCCC) devient réalité et, en mars 2004, le conseil d’administration nomme Jean-Claude Amon directeur général par intérim. A priori, ce « technocrate » -comme il se définit lui-même -, ancien consultant pour la Banque africaine de développement (BAD), ne connaît pas le monde du cacao et n’a jamais dirigé une usine. « J’avais les compétences requises pour le lancement d’une société », se défend-il aujourd’hui. Reste que le conseil d’administration a régulièrement prolongé son mandat, et que Jean-Claude Amon a accepté.
Accusé, dans la presse ivoirienne, de s’être offert une retraite dorée aux Etats-Unis sur les deniers de son pays, Jean-Claude Amon se dit «très à l’aise sur le sujet ». Son salaire annuel brut de 300 000 dollars et sa voiture de fonction –une Mercedes E 320 « quatre roues motrices » achetée 58 000 dollars- sont prévues par contrat. Quant à sa maison de Syracuse (60 km de Fulton, dans l’Etat de New York), payée 429 000 dollars, où il vit avec son épouse et ses quatre enfants, il assure l’avoir financée lui-même, grâce à un emprunt de 327 000 dollars contracté en son nom. En contrepartie, il dit avoir reçu de NYCCC des indemnités mensuelles de 3 200 dollars.
«Je n’ai jamais adhéré à aucun parti, je n’ai jamais fait de politique », assure ce diplômé d’un master de l’université de Syracuse, avant de faire allégeance au chef de l’Etat en précisant qu’il a « toujours suivi le parcours de Laurent Gbagbo » et qu’il partage « ses idées et principes politiques sur la Côte d’ivoire ». Aujourd’hui, Jean-Claude Amon est aux Etats-Unis, où il est retourné pour des raisons familiales après six mois passés en Côte d’Ivoire. Son visa de travail ayant expiré, il dit ne plus diriger l’usine, et prévient : «Je ne fais pas une fixation sur la reconduction de mon contrat, je nourris de nombreux projets en Côte d’Ivoire ».
Marianne Meunier