Afrique, le retour de la France
Alors que la France est présentée comme une puissance sur le déclin en Afrique, les dossiers libyen et ivoirien lui permettent de faire un retour en force sur le continent.
Un drapeau français sur la façade du tribunal de Benghazi lors des manifestations en avril 2011. REUTERS/Suhaib Salem
Des drapeaux français qui flottent sur la Libye. Un reggaeman ivoirien, Alpha Blondy qui rend hommage à l’armée française après avoir réclamé, en chanson, pendant des années son départ d’Abidjan.
La France a pesé de tout son poids diplomatique pour que les Etats-Unis et le Nigeria soutiennent Alassane Ouattara, le vainqueur reconnu par la communauté internationale. Laurent Gbagbo bénéficiait d’un soutien conséquent, celui de l’Afrique du Sud, la première puissance économique du continent. Pourtant là aussi, la France a réussi à faire changer de cap Jacob Zuma, le président sud-africain.
Au paroxysme de la crise, le rôle des militaires français a été déterminant pour déloger Laurent Gbagbo, réfugié dans son bunker présidentiel. L’armée française a aussi protégé des civils lors des affrontements entre partisans de Ouattara et de Gbagbo au cours des mois d’affrontements politiques qui ont suivi le scrutin. Nombre d’Ivoiriens considèrent que l’armée française leur a sauvé la vie, à l’image du chanteur Alpha Blondy ou des écrivains Venance Konan et Tiburce Koffi.
Les partisans de Laurent Gbagbo affirment que sans l’action de la France leur «champion» serait toujours au pouvoir. Et ils ont sans doute en partie raison. L’Afrique a connu des dizaines de «hold-ups» électoraux passés comme une lettre à la poste au cours des dernières décennies. Ainsi Robert Mugabe, qui dirige le Zimbabwe depuis 1980, occupe toujours le pouvoir malgré des victoires électorales particulièrement sujettes à caution en 2008.
Moins de la moitié sans doute. Et en général, la «communauté internationale» n’intervient pas pour faire respecter le verdict des urnes. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, il semble bien que Nicolas Sarkozy en ait fait une «affaire personnelle».
En décembre, au lendemain de la publication des résultats du scrutin, n’avait-il pas donné 48 heures à Laurent Gbagbo pour quitter le pouvoir? Face au «boulanger Gbagbo», habitué à rouler ses adversaires dans la farine, la France avait adopté un ton beaucoup plus incisif que les autres puissances.
En Libye, la France a joué un rôle tout aussi cardinal. Elle a été le premier pays à reconnaître dès février 2011 le CNT (Conseil national de transition). La France est également parvenue àentraîner l’Otan dans son sillage. Il n’allait pas de soi que les Occidentaux se lancent dans une opération d’une pareille envergure. Six mois plus tard, le colonel Kadhafi a perdu le pouvoir.Tripoli est tombé aux mains du CNT le 23 août. Là encore, sans la détermination de la France, il est peu probable que le régime libyen se soit écroulé de cette manière.
La France s’est dite prête le 23 août à organiser une «conférence internationale de soutien à la Libye». Paris évoque une feuille de route pour l’après-Kadhafi.
Sans préjuger du destin que va connaître la Libye post-Kadhafi, il est évident que Paris a joué les premiers rôles dans une partie de l’Afrique où son influence était jusqu’alors marginale. La chute de Kadhafi montre le poids de Paris. Et elle permet aussi de renforcer considérablement l’influence de la France dans toute la région, du Maghreb à l’Afrique de l’ouest en passant par le Sahel.
En 42 ans de règne, le colonel Kadhafi était devenu un acteur incontournable en Afrique subsaharienne. A l’aide de ses pétrodollars, il était parvenu à s’acheter des allégeances dans toute la région. Son régime était particulièrement actif au Mali, au Burkina Faso, au Niger et jusqu’à la façade atlantique. A coup de billets verts, il s’était fait de nombreux amis jusqu’à Cotonou et Lomé. Même l’Afrique australe n’échappait pas à ses appétits financiers et politiques: le régime avait même investi jusqu’au lointain Malawi.
Un autre grand rival de la France sort très affaibli diplomatiquement des crises des derniers mois. L’Afrique du Sud, qui rêve de devenir la grande puissance du continent a montré les limites de sa diplomatie. Elle a soutenu jusqu’au bout le régime de Kadhafi.
L’action de la France en Libye et en Côte d’Ivoire est loin de faire l’unanimité sur le continent.
A ceux qui accusent Paris de néocolonialisme, la France peut répondre qu’elle est intervenue militairement pour aider à «défendre la démocratie». Un argument qui ne convaincra pas toute l’opinion publique africaine, tant les intérêts financiers de la France sont grands en Libye et en Côte d’Ivoire —Paris demeure le premier partenaire économique d’Abidjan.
Mais cet argument pourra être utilisé de façon plus convaincante que dans le passé. La France a fréquemment été accusée de soutenir coûte que coûte des vieux régimes autoritaires —notamment celui d’Eyadéma au Togo ou de Bongo au Gabon— et de s’opposer aux aspirations à la démocratie. Même dans un passé très récent, elle n’a pas toujours fait bonne figure. Jusqu’au dernier jour du règne de Zine el-Abidine Ben Ali, le 14 janvier 2011, la France a donné l’impression de soutenir une «dictature amie». Au risque de laisser passer le vent de l’histoire.
D’Abidjan à Tripoli, Paris donne l’impression d’avoir tiré des leçons du fiasco tunisien.
Pierre Cherruau
«Un drôle de vent tricolore semble souffler sur l’Afrique, alors même que tout le monde annonçait le déclin de la France sur le continent», s’étonne Assane, un étudiant sénégalais.Alors que partout dans les médias les discours déclinistes fleurissent sur le thème: la France n’a plus d’influence sur le continent, les événements des derniers mois viennent de démontrer le contraire.
L'intervention française en faveur de Ouattara
Sans le soutien de la France, Alassane Ouattara aurait eu bien du mal à devenir président de la Côte d’Ivoire en avril 2011. Certes la communauté internationale avait reconnu sa victoire lors de la présidentielle de novembre 2011. Mais dès lors que Laurent Gbagbo campait sur ses positions et dans son palais présidentiel, il était particulièrement difficile de lui forcer la main. Sa victoire était reconnue par le Conseil constitutionnel ivoirien, le président sortant était bien décidé à rester dans son fauteuilpendant cinq années supplémentaires.La France a pesé de tout son poids diplomatique pour que les Etats-Unis et le Nigeria soutiennent Alassane Ouattara, le vainqueur reconnu par la communauté internationale. Laurent Gbagbo bénéficiait d’un soutien conséquent, celui de l’Afrique du Sud, la première puissance économique du continent. Pourtant là aussi, la France a réussi à faire changer de cap Jacob Zuma, le président sud-africain.
Au paroxysme de la crise, le rôle des militaires français a été déterminant pour déloger Laurent Gbagbo, réfugié dans son bunker présidentiel. L’armée française a aussi protégé des civils lors des affrontements entre partisans de Ouattara et de Gbagbo au cours des mois d’affrontements politiques qui ont suivi le scrutin. Nombre d’Ivoiriens considèrent que l’armée française leur a sauvé la vie, à l’image du chanteur Alpha Blondy ou des écrivains Venance Konan et Tiburce Koffi.
Les partisans de Laurent Gbagbo affirment que sans l’action de la France leur «champion» serait toujours au pouvoir. Et ils ont sans doute en partie raison. L’Afrique a connu des dizaines de «hold-ups» électoraux passés comme une lettre à la poste au cours des dernières décennies. Ainsi Robert Mugabe, qui dirige le Zimbabwe depuis 1980, occupe toujours le pouvoir malgré des victoires électorales particulièrement sujettes à caution en 2008.
Paris aux côtés des rebelles libyens
Combien de dirigeants ont réellement été élus démocratiquement sur le continent?Moins de la moitié sans doute. Et en général, la «communauté internationale» n’intervient pas pour faire respecter le verdict des urnes. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, il semble bien que Nicolas Sarkozy en ait fait une «affaire personnelle».
En décembre, au lendemain de la publication des résultats du scrutin, n’avait-il pas donné 48 heures à Laurent Gbagbo pour quitter le pouvoir? Face au «boulanger Gbagbo», habitué à rouler ses adversaires dans la farine, la France avait adopté un ton beaucoup plus incisif que les autres puissances.
En Libye, la France a joué un rôle tout aussi cardinal. Elle a été le premier pays à reconnaître dès février 2011 le CNT (Conseil national de transition). La France est également parvenue àentraîner l’Otan dans son sillage. Il n’allait pas de soi que les Occidentaux se lancent dans une opération d’une pareille envergure. Six mois plus tard, le colonel Kadhafi a perdu le pouvoir.Tripoli est tombé aux mains du CNT le 23 août. Là encore, sans la détermination de la France, il est peu probable que le régime libyen se soit écroulé de cette manière.
La France s’est dite prête le 23 août à organiser une «conférence internationale de soutien à la Libye». Paris évoque une feuille de route pour l’après-Kadhafi.
Sans préjuger du destin que va connaître la Libye post-Kadhafi, il est évident que Paris a joué les premiers rôles dans une partie de l’Afrique où son influence était jusqu’alors marginale. La chute de Kadhafi montre le poids de Paris. Et elle permet aussi de renforcer considérablement l’influence de la France dans toute la région, du Maghreb à l’Afrique de l’ouest en passant par le Sahel.
En 42 ans de règne, le colonel Kadhafi était devenu un acteur incontournable en Afrique subsaharienne. A l’aide de ses pétrodollars, il était parvenu à s’acheter des allégeances dans toute la région. Son régime était particulièrement actif au Mali, au Burkina Faso, au Niger et jusqu’à la façade atlantique. A coup de billets verts, il s’était fait de nombreux amis jusqu’à Cotonou et Lomé. Même l’Afrique australe n’échappait pas à ses appétits financiers et politiques: le régime avait même investi jusqu’au lointain Malawi.
La France contribue à faire tomber des régimes
Dans sa quête d’influence en Afrique de l’Ouest, il était en concurrence directe avec la France. La chute du Guide va de facto renforcer l’influence française dans la région. Surtout, si un «régime ami de Paris», le CNT, s’impose durablement en Libye.Un autre grand rival de la France sort très affaibli diplomatiquement des crises des derniers mois. L’Afrique du Sud, qui rêve de devenir la grande puissance du continent a montré les limites de sa diplomatie. Elle a soutenu jusqu’au bout le régime de Kadhafi.
L’action de la France en Libye et en Côte d’Ivoire est loin de faire l’unanimité sur le continent.
«C’est du néocolonialisme. Il faut que la France comprenne que l’Afrique aspire à la véritable indépendance», estime Michel, un enseignant ivoirien, favorable à Laurent Gbagbo. Un point de vue partagé par nombre d’Africains.Reste que la France a montré en six mois qu’elle a toujours une grande influence dans la région. D’Abidjan à Tripoli, d’avril à août, elle a contribué à changer le cours de l’histoire.
A ceux qui accusent Paris de néocolonialisme, la France peut répondre qu’elle est intervenue militairement pour aider à «défendre la démocratie». Un argument qui ne convaincra pas toute l’opinion publique africaine, tant les intérêts financiers de la France sont grands en Libye et en Côte d’Ivoire —Paris demeure le premier partenaire économique d’Abidjan.
Mais cet argument pourra être utilisé de façon plus convaincante que dans le passé. La France a fréquemment été accusée de soutenir coûte que coûte des vieux régimes autoritaires —notamment celui d’Eyadéma au Togo ou de Bongo au Gabon— et de s’opposer aux aspirations à la démocratie. Même dans un passé très récent, elle n’a pas toujours fait bonne figure. Jusqu’au dernier jour du règne de Zine el-Abidine Ben Ali, le 14 janvier 2011, la France a donné l’impression de soutenir une «dictature amie». Au risque de laisser passer le vent de l’histoire.
D’Abidjan à Tripoli, Paris donne l’impression d’avoir tiré des leçons du fiasco tunisien.
Pierre Cherruau
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