AB, ex-chef de guerre de Man se prononce -
Vendredi 5 décembre 2008 - Par Le Temps
Exilé depuis quatre ans au Mali, l`ex-chef de guerre de Man, Abdoulaye Traoré Alias AB était rentré. Lorsque, à travers cette interview dans le Temps Spécial, il a révelé l’hypocrisie de Soro et ses hommes dans l’application de l’APO, Sidiki Konaté avait vite fait de dire qu’il était “déréglé”. Il vient de lui donner raison par l’aveu de son mépris pour la paix.
Pouvez-vous vous présenter ? Je me nomme Abdoulaye Traoré dit AB. J`étais chef de guerre à l`Ouest. En plus, j`étais commandant de zone adjoint de Man.
Comment se fait-il que vous vous êtes retrouvé au Mali ?
C`est une politique. Cette politique a été organisée par Guillaume Soro et Sidiki Konaté. D`ailleurs, c`est Sidiki Konaté qui m`a appelé pour me dire qu`ils ont besoin de moi de toute urgence au Mali pour régler un certain nombre de problèmes. En mon absence, ils ont réussi à corrompre mon adjont. En plus, ils ont désarmé mes éléments. Ce sont ces derniers qui m`ont donné l`information.
Selon les informations, vous avez fui la zone, de peur de vous faire tuer. Puisque vous êtes un proche d`Ibrahim Coulibaly…
C`est une fausse information. Guillaume Soro et ses services savent qui est AB. Personne ne pouvait prendre Man. C`est au cours d`une réunion qu`on a décidé que je parte de cette ville. C`est après que je me suis rendu compte que c`était une cabale.
Comment vivez-vous au Mali ?
Je vivais très bien dans ce pays. Je me suis présenté officiellement aux autorités maliennes. Je vivais sans problème. Soro et Konaté mettaient les bâtons dans les roues. Chaque fois, j`étais interpellé par les forces de l`ordre du Mali.
Il paraît que vous broyiez du noir à Bamako…
Ce sont des ragots. Soro et Konaté veulent me salir. Ces deux personnes faisaient circuler des fausses informations sur mon compte.
Quelles sont ces informations ?
Ils faisaient croire aux autorités maliennes que je fais du blanchiment d`argent. Après enquête, on se rend compte que cela est archi faux. Ce sont des histoires montées de toutes pièces pour me ruiner. Il n`y avait pas de preuve. Personne ne pouvait le démontrer.
Pourquoi Soro et Sidiki Konaté vous en veulent tant ?
On fait une réunion ensemble. Au cours de la marche, il était prévu que je vienne faire une opération à Abidjan ; on m`a confectionné une pièce burkinabé. Je leur ai donné mon accord. Donc je devais passer par le Ghana pour mener l`opération. Après, j`ai eu à circuler avec quelqu`un qui m`a dit que c`était risqué. Donc j`ai renoncé. Alors, ils ont mis une équipe à mes trousses pour m`éliminer. J`étais obligé de changer de couchettes pour fuir les tueurs à gages de Soro. Toutes leurs tentatives pour m`éliminer sont restées vaines. Alors, ils m`ont laissé tranquille.
On vous accuse d`être pro IB…
Je ne suis pas pro IB. Nous avons pris les armes pour une justice bien déterminée.
Quelle est cette justice ?
Pendant la préparation de l`attaque, tous les combattants ont été informés qu`on prenait les armes pour que Alassane soit candidat à l’élection candidat à l`élection présidentielle. Si maintenant cette situation a été réglée après les accords de Pretoria, on doit déposer les armes. Je ne suis pas pro IB. Ce n`est pas lui qui a formé la rébellion. IB n`est pas responsable de la rébellion.
Qui est le responsable ?
Soro et IB sont mieux placés pour le dire. Ils savent qui est le père de la rébellion. La personne qui a créé la rébellion se reconnaît. Soro et IB ne peuvent pas payer les armes. Ils n`ont aucun moyen pour financer la rébellion. Le tribunal pénal international va interroger les gens. Nous allons livrer les secrets de la rébellion.
C`est qui alors ?
C`est Alassane Dramane Ouattara. Le coup a été planifié à Ouagadougou... au quartier des villas des hôtes. Alassane Ouattara a demandé à Blaise Compaoré de l`aider à renverser le pouvoir de Gbagbo. Ce dernier a donné son accord. A son tour, il a confié l`affaire à Djibril Bassolé et au capitaine Zida. IB était chargé de conduire les opérations sur le terrain avec des soldats burkinabé. Ainsi que des mercenaires libériens. Soro a été choisi pour jouer le rôle de porte-parole. Nous allons tout déballer devant le tribunal pénal international. Quand on dit que c`est pour Alassane Ouattara qu`on a pris les armes, on n`a plus besoin de chercher le père de la rébellion.
Alassane Ouattara a toujours nié la paternité de la rébellion ?
Nous étions au cœur de la rébellion. Nous n`étions pas n`importe qui. IB et Soro le savent. Ils peuvent, vous le dire. De toutes les façons, la vérité va éclater bientôt.
Quels étaient vos rapports avec les autorités maliennes ?
Nous avons de bons rapports.Les Force nouvelles vous demandent de revenir.
Mais vous refusez…
Je ne veux plus les rejoindre. Tout le monde parle de paix. Ce n`est pas la peine de monter une équipe pour venir freiner le processus de paix. Il faut que cela s`arrête. Gbagbo n`a pas pris les armes contre Houphouët-Boigny. Il a discuté. Le voilà aujourd`hui, au pouvoir. Quand on est premier ministre, il faut déposer les armes. Soro est incapable de désarmer ses soldats.
Pourquoi est-il incapable ?
Il est téléguidé. C`est un cobaye. Ses décisions lui sont dictées.
Par qui ?
Il le sait. Avant de prendre une décision, il appelle le vrai responsable de la rébellion. Je n`ai plus besoin de le citer. Puisque vous le savez maintenant. Soro n`a pas assez de courage pour prendre des décisions.
Comment faire pour que les combattants des Forces nouvelles déposent les armes ?
C`est là que la danse devient intéressante. Les gens ont décidé d`aller à la paix. Laurent Gbagbo a gagné en empruntant la voie du dialogue. Il n`y a plus d`autres raisons à ne pas déposer les armes. Nous demandons à Gbagbo de laisser la question entre nous ; c`est la meilleure solution. S`ils ne veulent pas désarmer, nous allons le faire.
Quels moyens avez-vous ?
Ils savent qui est AB. Nous avons au moins une centaine d`éléments en leur sein. Nous demandons à Soro et ses hommes de déposer les armes. Que Shérif Ousmane cesse de se faire empereur, qu`il laisse les armes. On ne va pas rester dans cette situation. Les pays de la sous- région sont en train de se développer. Avec l`argent des Ivoiriens. Aujourd`hui, j`ai mal au cœur quand je vois qu`on nous a poussés à attaquer notre pays. Chaque Ivoirien doit prendre conscience.
Avez-vous les nouvelles de Zackaria Koné ?I
l faut dire que le problème avec Zackaria Koné ne date pas d`aujourd`hui. Il était au départ garde du corps de Soro. Il l`a laissé pour prendre Vetcho. Chose que Zackaria n`a pas digére. Aujourd`hui, il a compris. Il cherche à rentrer dans la République.
Quelle est aujourd`hui, sa situation à Ouagadougou ?
Il ne peut rien faire que les autres burkinabè ne sachent. Tous ses faits et gestes sont contrôlés. Il est suivi à la loupe. Il n`est pas libre de ses mouvements.
Il paraît que vous êtes l`un des casseurs de la BECAO de Man…Il faut mettre les choses à leur place. Colonel Bamba, Loss, Diabaté en savent quelque chose. Je gérais Man. Mais je dormais à Biankouma. Qu`on arrête de m`accuser. Ils savent comment ça s`est passé. Chacun va s`expliquer un jour devant le TPI. Ceux qui sont à la base de ce casse se connaissent. Ils sont encore en vie.
Pouvez-vous citer des noms ?
Losséni Fofana dit Loss, Yéo, Diabaté et Bamba ont reçu l`ordre de la hiérarchie. C`est Guillaume Soro et ses hommes qui leur ont demandé de le faire. J`ai refusé de participer à ce casse.
Pourquoi ?
On avait une mission bien précise. Nous ne sommes pas venus pour voler de l`argent de la banque. En plus, cela allait jouer sur notre image. Les gens allaient nous traiter de voleurs. Les faits ont fini par me donner raison. Guillaume Soro a reçu beaucoup d`argent de ce casse. Puisque c`est Kass qui est venu chercher la part de Soro. A Bouaké, c`est Wattao qui a conduit les opérations du casse de la BCEAO. A Korhogo, c`est Kouakou Fofié. Ils ne peuvent pas le nier. Ils se sont enrichis sur le dos des combattants. D`ailleurs, c`est pourquoi Soro a éliminé Kass et Yéo. Parce que ces derniers réclamaient leur part. En plus, ils voulaient le dénoncer.
Tous ceux qui se sont opposés à Soro ne sont plus de ce monde ?
C`est dommage que Soro les ait assassinés. Je peux bien me venger parce que Adams était une partie de moi-même. Mais cela ne sert à rien. Allons à la réconciliation. Le TPI va régler le compte de tous ces voleurs. Soro doit être traduit devant le TPI.
Vous faites trop allusion au TPI ?
Quand tu prends les armes, tu paies. Nous avons le cas de Hissène Habré, Jean-Pierre Bemba aujourd`hui, notre vie a été gâchée. Nous avons été trahis. Ils m`ont transformé en une autre personne dans ce monde.
Avez-vous des regrets ?
Beaucoup. Ce qui me fait mal, non seulement, ils nous ont trahis mais aussi ils refusent de déposer les armes. On ne peut aller aux élections avec des hommes en armes. Soro est premier ministre, de quoi ont-ils peur ? Que les soldats de Soro quittent les rues. Qu`ils aillent voir ceux qui les ont embauchés pour les punir. Je suis prêt à dire toute la vérité. Même si je dois mourir. Je suis prêt à passer à la télévision ivoirienne. Afin que les Ivoiriens sachent la vérité.
A-t-on réellement promis 5 millions aux jeunes gens ?
C`est un montage de Soro et de Shérif Ousmane afin de retarder le processus de désarmement. Lorsque le premier cessez-le-feu a été signé à Tiébissou, on nous a convoqués à Ouagadougou. Au cours de la rencontre, on nous a demandé de violer le cessez-le- feu en procédant à des attaques. Aujourd`hui, c`est le même jeu entre Soro et Shérif. C`est fait sciemment. On fait croire que Soro et Shérif ne sont pas dans le même coup. Ils sont bel et bien ensemble. Ils ne veulent pas aller aux élections. Et Soro est le chef d`orchestre de ce jeu. Ce dernier reçoit des ordres du responsable de la rébellion.
Etes-vous prêts à prendre les armes ?
Pas pour la rébellion. Je préfère prendre les armes pour défendre la République. Il faut que les gens déposent les armes. Ce n`est pas, par les armes, qu`on prend le pouvoir. Ce sont des élections qui montrent qui est fort.
Pourquoi avez-vous décidé de quitter la rébellion ?
Je suis fatigué. Je ne suis plus prêt à suivre une rébellion pour détruire mon pays. J`ai décidé de me mettre aux côtés de mon pays. Personne ne m`a obligé. Après des années de réflexions, j`ai pris cette décision. Je demande pardon à la République pour le tort que j`ai pu lui causer.
Quel message pouvez-vous adressé aux Ivoiriens ?
Je leur demande pardon. Que la nation tout entière me pardonne pour les bêtises que j`ai commises. On recevait des ordres qu`il fallait exécuter. Je reconnais mes fautes. Je suis prêt à mourir.
Etes-vous sincère ?
Je jure la main sur le cœur. Je suis sincère. Si je ne l`étais pas, je ne serai pas rentré au pays. Je demande aux Ivoiriens de me faire confiance. La preuve, dès mon retour; les services d`Alassane Ouattara sont entrés en contact avec moi.
Que vous ont-ils demandé ?
Ils se sont plaints du fait que j`ai décidé de tourner le dos à la rébellion. Ils m`ont supplié de revenir sur ma décision. Je leur ai dis non. Pour moi, la page de la rébellion est tournée. Et dire que j`ai gâché ma vie pour que Alassane Ouattara soit candidat. Désormais, je me mets au service de mon pays. J`ai trop fait de bêtises qui n`ont rien apporté au pays. Si ce n`est pas la désolation, la mort, et la tristesse. Il est temps qu`on mette fin à la souffrance des populations.
Que pensez-vous du processus de paix ?
Si Guillaume Soro joue franc jeu, la Côte d`Ivoire va retrouver la paix.
Pourquoi Soro ne joue-t-il pas franc jeu ?
Les responsables de la rébellion n`ont pas encore dit leur dernier mot. Ils ne veulent pas de la tenue des élections. La décision de la tenue des élections ne dépend pas de Soro. Il faut les dégager par la force. Sinon, le pays va rester dans cette situation. Cela risque d`énerver le peuple. C`est leur tactique.
C`est -à- dire ?
Ils veulent maintenir les populations dans la souffrance. Ce qui risque d`être préjudiciable à Gbagbo. Ils veulent pousser le peuple à se soulever contre lui. Puisqu`ils n`ont pas reussi à l`enlever par les armes. Soro et ses hommes ne vont pas déposer les armes tant que nous ne prenons pas nos responsabilités. Ils se plaisent dans cette situation.
Que pensez-vous du rôle de facilitateur du Président Blaise Compaoré ?
Ce monsieur ne peut pas ramener la paix en Côte d`Ivoire. Lui-même est au coeur de la rébellion. C`est lui qui nous a formés à Ouagadougou.
C`est grave ce que vous dites...
C`est la vérité. Depuis un an l`Accord politique de Ouagadougou est signé. Soro et ses hommes refusent de déposer les armes sans qu`il ne les interpelle. Blaise Compaoré a fait retourner dans son pays les armes lourdes qu`il a mises à notre disposition au début de la guerre. Je ne lui fais pas confiance. C`est vous qui croyez en ce monsieur. Comment peut-on confier la médiation de la crise ivoirienne à l`un des commanditaires de la rébellion ?
Interview réalisée par :Yacouba Gbanéyacou06336510@yahoo.frin Le Temps Spécial - N°5 du 24/09/2008