De gros nuages s’amoncèlent à l’horizon sur le régime Ouattara. Depuis quelques mois, un frémissement se fait sentir dans toutes les couches sociales. Du fonctionnaire au « corps habillé », du jeune désoeuvré à l’étudiant forcé de se tenir très loin des amphithéâtres depuis près de deux ans, de la ménagère qui n’arrive plus à nourrir convenablement la maisonnée au déflaté néo-chômeur empêtré dans des difficultés de toutes sortes, en passant par le grossiste ou le transporteur qui n’arrive plus à réaliser sa recette journalière … plus personne ne cache son désarroi devant le mal vivre ambiant.
La période de « grâce » accordée au chef de l’Etat, due surtout à la terreur entretenue par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci), semble révolue. L’impatience gagne les populations, et les signes annonciateurs d’un ouragan social sont palpables Lundi 23 et mardi 24 avril 2012. La plupart des établissements scolaires du primaire public sont fermés. Motif ? Le Mouvement des instituteurs pour la défense de leurs droits (Midd), l’un des syndicats les plus actifs du monde éducatif a lancé quelques jours plus tôt, un mot d’ordre de grève de 48 heures, largement suivi sur l’ensemble du territoire national. Depuis un an que le président Alassane Ouattara est au pouvoir, c’est le premier mouvement syndical enclenché qui aboutit à un arrêt de travail.
Personne n’osait imaginer un débrayage dans la Fonction publique il y a de cela quelques mois. Est-ce le début d’un cycle qui pourrait déboucher sur des manifestations de plus grande envergure ? Tout laisse à le penser, puisque d’autres acteurs sociaux tenus jusque-là en laisse par des Frci qui imposaient le « respect armé », menacent d’entrer en scène. Trois semaines avant les enseignants, ce sont les médecins, infirmiers, sages-femmes… qui ont donné le ton. L’ensemble des 14 syndicats de la santé réunis au sein d’une plateforme, avait annoncé une grève pour le mardi 3 avril 2012. Après plusieurs rencontres avec le Premier ministre, le Gouvernement est parvenu, momentanément, à désamorcer la bombe sociale. Mais pour combien de temps ? Puisque le personnel soignant des hôpitaux publics a accordé une « trêve » de trois mois au Gouvernement pour satisfaire à ses revendications salariales. Autant dire que le magma social qui sommeille depuis un an pourrait entrer très vite en éruption.
Car de leurs côtés, les dirigeants conditionnent la prise en compte des prétentions des travailleurs à l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative Ppte (Pays pauvres très endettés), annoncé pour la fin du mois de juin 2012. Ce qui constitue une pure démagogie gouvernementale, dans la mesure où non seulement le Ppte n’est pas un acquis, loin s’en faut ; mais pis, la manne financière espérée par le Gouvernement, si elle est accordée à l’Etat de Côte d’Ivoire, ne servira pas à faire des revalorisations salariales. D’ailleurs, lors des négociations avec les autorités, un leader syndical qui a bien perçu le piège du Ppte, a osé poser la question qui fâche au Premier ministre : « Et si en fin juin prochain, on n’a pas le Ppte, qu’est-ce qu’on fait ? Est-ce que le pays va s’écrouler ou arrêter de fonctionner ?» N’ayant aucune réponse rassurante à donner à ses interlocuteurs, cette interrogation embarrassante a soulevé le courroux du chef du Gouvernement, allant jusqu’à tancer sévèrement l’auteur de cette demande impertinente de négativisme, rapporte un participant aux pourparlers.
Les Centrales syndicales sur le « pied de guerre »
C’est donc un euphémisme d’affirmer que le régime Ouattara est sur des braises ardentes au plan social. Et le Gouvernement risque d’être privé de vacances, car les prochains mois (juillet, août, septembre…) s’annoncent très houleux. En effet, les Centrales syndicales ont décidé d’emboiter le pas à leurs associations syndiquées. Certainement galvanisés par les actions des syndicats sectoriels du monde enseignant et de la santé, l’Union générale des Travailleurs de Côte d’Ivoire (Ugtci), la Fédération des syndicats autonomes de Côte d’Ivoire (Fesaci) et la Fédération des syndicats libres Dignité – dont le Secrétaire général, Basile Mahan Gahé, est en prison au nord du pays depuis plus d’un an – commencent à leur tour à hausser le ton.
Aphones suite aux licenciements massifs dans la Fonction Publique et dans les entreprises parapubliques, mais surtout tétanisés par la présence encombrante des Frci, les Centrales syndicales semblent avoir retrouvé la voix. A l’occasion de la Fête de Travail, boudé du reste par le chef de l’Etat qui a préféré « fuir » ses travailleurs pour aller se « réfugier » en France, les premiers responsables de l’Ugtci, Fesaci et Dignité ont mis en garde les autorités. « Il (Alassane Ouattara) avait promis 200.000 emplois par an. S'il n'est pas en mesure de réaliser cette performance, nous lui demandons humblement de laisser en place nos emplois acquis de haute lutte », fulminait l'un des adjoints de Mahan Gahé de Dignité, à sa sortie de la célébration du 1er mai 2012. « Le chef de l'Etat ne cesse de détruire les emplois des Ivoiriens », s'indignait pour sa part le vieux syndicaliste, Marcel Etté, que la destruction du tissu économique et social en seulement une année de gestion de pouvoir de Ouattara, a fait sortir de sa retraite.
Le fondateur de la Fesaci a exprimé sa déception dans la presse au lendemain de la Fête du Travail. Pour faire monter la pression sur le Gouvernement, les Centrales syndicales brandissent la menace d’une grève généralisée de tous les travailleurs de Côte d’Ivoire, qu’ils soient du public ou du privé, si des solutions idoines ne sont pas trouvées dans les meilleurs délais pour sécuriser les emplois, à défaut de pouvoir en créer. Et améliorer les conditions sociales des populations, qui ploient sous le faix d’une équipe dirigeante en panne sèche de solutions et d’imaginations. Cet ultimatum sera-t-il mis à exécution ? La conjonction des circonstances et des facteurs déclencheurs plaident pour une explosion sociale.
Le mirage du Ppte
En effet, c’est devenu une plaisanterie de mauvais goût sur les marchés et même dans les causeries de quartiers. Aujourd’hui, lorsque vous sollicitez quelqu’un pour une quelconque aide financière, il vous répond : « Attends le conteneur d’argent qui arrive. Le bateau qui transporte les milliards du « bravetchê » (surnom du président Ouattara attribué par ses affidés, ndlr) est encore sur la mer, et il ne tardera pas à accoster au port d’Abidjan ». Un humour caustique bien ivoirien pour traduire la raréfaction des ressources financières. Jamais de mémoire de citoyen, les Ivoiriens et même les populations étrangères qui vivent en Côte d’Ivoire ne se sont autant plaints du manque d’argent. C’est sous Alassane Ouattara, « le président qui valait des milliards », « wari fatchê» (le père de l’argent en langue malinké ou bambara, ndlr), « le plus grand économiste africain de tous les temps », autant de superlatifs dont s’est affublé le chef de l’Etat, que les populations souffrent le plus du manque de moyens financiers. Même ses propres partisans, y compris les plus irréductibles, ont commencé à déchanter et à ne plus croire en la promesse des fleurs. Et pour toute réponse, le Gouvernement n’a qu’une ritournelle à bouche : « Ppte ! », brandi désormais comme la solution miracle ! La panacée. Et si ce fameux Ppte se transformait en mirage ?
Or, ne dit-on pas que l’argent est le nerf de la guerre ?
Vers des émeutes de la faim ?
Et comme un malheur ne vient jamais seul, les populations doivent faire face, au moment même où elles ont de moins en moins de revenus, à la hausse « sauvage » des prix des denrées alimentaires et de première nécessité. Dans une récente interview accordée à Radio France Internationale (RFI), Alassane Ouattara déclarait, à propos de la cherté de la vie : « (…) Je vais alléger le panier de la ménagère… ». Ce lapsus du chef de l’Etat est révélateur de la situation désastreuse dans laquelle se trouvent tous les ménages du pays. La flambée des prix a atteint des proportions jamais égalées. En 2008, pour bien moins, des « émeutes de la faim » ont embrasé de nombreux pays africains, dont la Côte d’Ivoire. N’est-ce pas que les mêmes causes produisent les mêmes effets ? Que ventre affamé n’a point d’oreille ? Les tensions de trésorerie observées dans la majorité des foyers et les difficultés des ménages à assurer leur pitance quotidienne pourraient conduire à une déflagration sociale en raison du rationnement alimentaire imposé aux populations.
Grogne au sein des troupes
Si le mécontentement général observé ne se limitait qu’à la population civile… Mais que non ! Puisque la grogne se fait sentir également au sein des troupes, notamment au niveau des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci). Où de l’aveu même du chef de l’Etat, il n’a aucune solution pour ces milliers de « jeunes volontaires associés » (pour ne pas dire les milices pro-Ouattara) qui l’ont accompagné à sa prise de pouvoir... La menace d’une « révolte kaki » tournoie comme une épée de Damoclès sur la tête du régime Ouattara. Car ils sont encore des dizaines de milliers d’ex-combattants favorables au nouveau régime qui attendent une hypothétique intégration dans la nouvelle armée réunifiée, ou leur réinsertion dans le tissu économique et social. Et à ce niveau, l’impatience semble gagner les rangs… Les promesses électorales virent à la désillusion .
En définitive, le chef de l’Etat peine à mettre en oeuvre ses mirifiques promesses électorales. En lieu et place du million d’emplois promis en cinq ans, à raison de 200.000 emplois par an, ce sont plus de 97.000 emplois qui ont été détruits en une année de gouvernance Ouattara. Qu’est-il advenu des cinq universités à construire en cinq ans, à raison d’une université par an ? Une chimère, dans la mesure où toutes les Universités d’Abidjan (Cocody et Abobo-Adjamé) et de Bouaké ont été fermées. Et la rentrée universitaire annoncée à coup de battage médiatique pourrait être différée de quelques semaines voire des mois, vu l’état d’avancement des travaux de réhabilitation qui n’incite pas à l’optimisme affiché par le Gouvernement à travers son ministre de l’Enseignement Supérieur. En seulement une année, les « solutions » promises par Alassane Ouattara à ses concitoyens ont viré à la désillusion et au cauchemar.
On ne parlera pas des cinq Chu (Centres hospitaliers universitaires), des soins gratuits, du projet de Santé pour Tous (qui n’est autre qu’une pâle copie de l’Assurance maladie universelle, Amu), tous renvoyés aux calendes… du Ppte ! Mais c’est connu : les promesses électorales ne valent que pour ceux qui y croient. Pour tous ces faits, le régime du président Alassane Ouattara donne l’impression d’être une cocotte minute…
Source : L'Observateur d'Abidjan
HERVE-BAZIN ADOKOU