vendredi 19 octobre 2007

Venance Konan (journaliste écrivain) : “Ecole assassinée, administration tuée, l`éthique et la morale qui désertent, sort des paysans, Gbagbo s`en fou


Le Nouveau Réveil - N°1749 - vendredi 19 octobre 2007

Laurent Gbagbo a parlé le mercredi soir. Et il a achevé de convaincre tous ceux qui avaient encore des doutes, sur son incompétence pour diriger un pays comme la Côte d'Ivoire, et surtout sur son mépris envers les Ivoiriens. Prenons quelques uns des points qu'il a abordés dans son intervention du mercredi. Prenons la filière du cacao qui est pillée par une bande d'êtres malfaisants. Que dit-il ? "Si la filière est mal gérée, ça ne regarde pas l'Etat et ce n'est pas l'argent de l'Etat qui est dilapidé. Nous, nous retirons, nous l'Etat, notre impôt. 250 milliards en 2005, 254 milliards en 2006. C'est ça qui est dans le trésor et c'est ça que nous dépensons. Le reste appartient à ceux qui gèrent… Aujourd'hui, avec la réforme que nous avons faites, nous prenons nos impôts et le reste regarde ceux qui gèrent la filière". En clair, "dès lors que j'ai ma part, le reste ne me concerne plus. Si on vous vole, c'est votre problème". Alors, une bande d'aigrefins qui ne sait pas comment pousse un pied de cacao peut voler des milliards aux paysans, en les laissant vivre dans la misère la plus noire, celui qui se dit notre chef nous dit qu'il s'en fout. Au moins il est franc. Lorsque cet homme était dans l'opposition, il s'est battu de toutes ses forces pour que la Caisse de stabilisation soit démantelée. Parce qu'il disait que c'était la caisse noire des barons du régime. Mais sait-il au moins que c'est avec l'argent accumulé par cette Caisse que toutes les routes qui partent de Gagnoa ont été bitumées, qu'il a pu bénéficier de bourses lorsqu'il allait à l'école, et qu'il bénéficiait du logement gratuit lorsqu'il enseignait ? Quel résultat a-t-on atteint avec sa réforme ? Une bande d'analphabètes aux grands chapeaux et d'anciennes secrétaires s'est accaparée les ressources des paysans qu'ils dilapident aux quatre coins du monde. Et le chef ( ?) de l'Etat dit qu'il n'est pas concerné. Or, c'est lui qui les a nommés, et c'est lui qui les maintient envers et contre la volonté des vrais paysans. N'est-ce pas en réalité parce qu'il les couvre ? Et pourquoi les couvrirait-il s'il n'avait pas lui-même des intérêts dans cette histoire ? Paysans et fils de paysans ivoiriens, vous savez maintenant à quoi vous en tenir. Votre sort n'intéresse pas du tout M. Gbagbo. Que dit Laurent Gbagbo des concours et examens devenus tous payants ? "Je suis au courant de tout ça. C'est une tradition de la Côte d'Ivoire. Alors moi, comme je n'ai pas passé de concours pour entrer à l'ENA ni à la police, je ne peux pas dire si c'est vrai ou faux. Mais je ne le nie pas. Si tout le monde en parle, il doit y avoir du vrai là-dedans… Et même ce sont les élèves eux-mêmes qui cherchent des gens à corrompre. Si du côté de ceux qui passent les examens, il y avait moins de demandes de parapluie, il y aurait peut-être moins de corruption. Mais je vous dis, quand il y a la guerre, tout se déglingue". Et voici comment le chef (?) de notre Etat a résolu un des problèmes les plus graves de notre société. "Ca existe peut-être mais qu'est-ce que vous voulez que je fasse, moi ? Je ne passe pas d'examen". Peut-on autant mépriser son peuple ? Mais comprenez bien que ce n'est pas tant que M. Laurent Gbagbo pense que ce problème soit insoluble. Non ! Tout simplement, il ne voit pas pourquoi il chercherait à régler un problème qui ne le touche pas directement, ni un de ses proches. Et c'est ainsi qu'il a toujours traité tous les problèmes qui se posent aux Ivoiriens. Il dit "ce n'est pas normal !", et pour lui l'affaire est terminée comme ça. Parce qu'en réalité, il se moque totalement du sort des Ivoiriens. Du moment que lui et les siens vivent bien, tous les autres n'ont qu'à faire comme ils veulent. Ce n'est pas son problème. L'école assassinée ? Ses enfants ne vont pas à l'école ici. L'administration qui est tuée, il s'en fout. Le culte à la médiocrité qui est devenu la règle, il s'en moque. L'éthique et la morale qui ont déserté le pays, il s'en fout totalement. C'est comme le sort des paysans. Il n'est pas concerné. Et que nous dit-il à propos de son fonds de souveraineté ? "Le train de vie de l'Etat a diminué. D'abord, je n'engage plus de coût pour organiser des fêtes. Je suis sur ce point-là celui qui dépense le moins. Je suis de tous les chefs d'Etat de la Côte d'ivoire celui qui a le plus petit budget de souveraineté : cinq milliards". Donc tous les Ivoiriens ont eu des hallucinations lorsqu'ils ont lu les différents budgets de souveraineté votés par l'Assemblée depuis que M. Gbagbo est au pouvoir, qui avaient commencé à 27 milliards, puis sont montés à 37 milliards. Aujourd'hui, puisqu'il n'y a plus d'Assemblée, le chef ( ?) de l'Etat fixe son budget de souveraineté à sa guise. Et nous avons eu des hallucinations lorsque nous avons lu le papier publié par Mamadou Koulibaly dans Fraternité Matin qui donnait les différents budgets de souveraineté de la présidence et de la primature. D'où vient le chiffre jamais démenti de plus de 60 milliards ? N'insistons pas dessus. Nous avons aussi eu des hallucinations lorsque nous croyions avoir vu beaucoup d'argent gaspillé à l'enterrement du père du chef ( ?) de l'Etat. Et les véhicules 4X4 que la présidence distribue à gauche et à droite sont également les fruits de notre imagination. Des membres de son cabinet ne se baladent pas en Porsche et Hummer. Et les millions qui disparaissent dans des hôtels de lux à Paris ? Et les maîtresses dans les voitures de luxe ? On a rêvé quand on a cru les avoir vus.
Nous avons aussi eu des hallucinations lorsque nous avons lu que notre pays produisait plus de 80 000 barils de pétrole par jour. Le chef ( ?) dit qu'on n'en produit que 50 000. Pareil lorsque nous avons lu dans les journaux les explications de la direction des impôts qui tentait laborieusement de nous faire comprendre qu'avec la réforme de l'impôt, seuls ceux qui gagnent plus de 600 000F paieront plus d'impôts. Laurent Gbagbo dit qu'il n'y a aucune augmentation des impôts. Donc, si nous constatons une augmentation d'impôt sur nos bulletins de salaire, nous sommes en droit de nous plaindre, chef ?
Notre chef ( ?) de l'Etat nous a aussi dit que toutes les enquêtes ont abouti depuis qu'il est président. Chouette ! Qu'il nous dise donc qui a tué Robert Guéï et sa famille, Téhé Emile, Benoît Dacoury-Tabley, Camara H, l'étudiant Habib Dodo, Badolo le jardinier de M. Allassane Ouattara. On va enfin savoir qui a massacré plus de 120 personnes les 25 et 26 mars 2004, qui a permis aux déchets toxiques de parvenir en Côte d'Ivoire et tuer une quinzaine de personnes. Monsieur le président, nous attendons que vous nous éclairiez. Concernant les travaux pharaoniques de Yamoussoukro, Laurent Gbagbo a dit qu'il construit pour cent ans. Je crois que mieux que tout autre exemple, ces travaux expriment tout le mépris que le chef ( ?) de l'Etat a pour les Ivoiriens. Les enfants s'entassent par quatre sur des tables bancs prévues pour deux dans les écoles, Laurent Gbagbo s'en moque. L'université est devenue pire que la gare d'Adjamé ? Ceux qui ne peuvent se faire soigner dans les cliniques privées meurent dans les hôpitaux publics parce qu'il y a aucun matériel ? Les routes de Côte d'Ivoire sont toutes dégradées ? Les rues d'Abidjan sont devenues impraticables ? La lagune se meurt ? On n'arrive pas à ramasser les ordures à Abidjan ? Laurent Gbagbo s'en moque complètement. Il construit pour cent ans ! Que construit-il ? Pas des écoles, que l'on peut aussi construire pour cent ans, pas des routes, pas des hôpitaux, non ! Il construit des palais. A côté de ceux qu'Houphouët-Boigny a laissés et qu'il a abandonnés à la ruine. Franchement, dites-nous, Monsieur Gbagbo, qu'est-ce que les Ivoiriens ont à faire du plus grand palais de l'Assemblée d'Afrique ? Sommes-nous le pays le plus peuplé d'Afrique ? Sommes nous le plus puissant ? Non ! Monsieur a vu qu'il y a de l'argent dans les caisses. Et il faut qu'il le dépense. Et comme le sort des Ivoiriens est le cadet de ses soucis, il préfère, en bon roi nègre, construire les choses les plus inutiles et les plus chères. Et pour mieux nous montrer à quel point il se fiche de ce que nous pouvons devenir ou ce que nous pouvons penser, il ajoute un sénat. Dano Djédjé a récemment dit dans une interview dans Fraternité Matin qu'il avait été prévu de construire un conseil économique et social, mais que Laurent Gbagbo avait exigé que l'on construise un sénat, la seconde chambre de notre parlement. Or la constitution est claire et sans ambiguïté. Le parlement ivoirien est constitué d'une seule chambre appelée assemblée nationale. D'où sort cette histoire de sénat ? De la volonté d'un homme de gaspiller l'argent des Ivoiriens en les narguant. S'il construit des écoles ou des hôpitaux, les Ivoiriens les utiliseront. Or un sénat non prévu par la constitution ne sert absolument à rien. La meilleure façon de gaspiller de l'argent n'est-elle pas d'acheter ou de construire des choses qui ne servent strictement à rien ? Gbagbo savait que personne ne parlerait. Depuis quand les ivoiriens ont parlé quand on les prend pour des imbéciles ? Effectivement, avez-vous entendu un seul ivoirien, un seul élu, un seul de nos leaders politiques de l'opposition parler de cela ? Pour pasticher un chanteur de zouglou, "qu'avons-nous fait au bon Dieu pour mériter un tel sort ?" Qu'avons-nous fait à Gbagbo pour qu'il nous fasse souffrir de cette façon ? Parce que la réalité est qu'il a la possibilité d'alléger la souffrance des Ivoiriens. En ne construisant pas ces palais ridicules par exemple. Mais sans doute par sadisme, il préfère les laisser souffrir en jetant leur argent par la fenêtre. C'est bien fait pour nous. Ca nous apprendra à être aussi amorphes et aussi couards.
Laurent Gbagbo dit que l'élection qui l'a amené au pouvoir est la meilleure que l'on n'ait jamais organisée dans ce pays. Bien sûr, puisque ça l'a porté au pouvoir. Toutes les personnes qui sont mortes à l'occasion de cette élection n'ont eu que ce qu'elles méritaient. Je crois qu'après avoir écouté Laurent Gbagbo le mercredi soir, tous les ivoiriens ont enfin compris que le bagage qu'ils lui ont donné est trop lourd pour lui. Ce qui reste à faire est de l'en décharger.
Venance Konan
email : venancekonan@yahoo.fr

L`Etat et paysans, tous deux responsables de la mauvaise gestion


Le Nouveau Réveil - N°1749 - vendredi 19 octobre 2007


D
ans son adresse à la nation, mercredi dernier, le chef de l'Etat, Laurent Gbagbo, s'est joué du peuple ivoirien. En tenant, sur la gestion scandaleuse de la filière café-cacao, des propos dénués de toute réalité. En effet, face à l'échec de la reforme dudit secteur, il n'a trouvé à dire voire à redire que d'attribuer la responsabilité aux pauvres paysans. Qui, après avoir accepté par ignorance ou snobisme, de se faire miroiter un pouvoir qui ne leur a jamais été octroyé ou redonné (c'est le terme approprié), sont aujourd'hui contraints de payer le lourd tribut de leur moindre vigilance. Depuis la fin de la campagne présidentielle de 2000. A dire vrai, le pouvoir n'a jamais lâché la filière café-cacao. Qu'il continue de chercher à contrôler. Ce secteur pourvoyeur de fonds est dirigé au quotidien par des organes tels que le Fonds de développement et de promotion des activités des producteurs de café-cacao (FDPCC), le Fonds de régulation et de contrôle du café et du cacao (FRC), la Bourse de café-cacao (BCC), l'Autorité de régulation café-cacao (ARCC)… La dernière structure est étatique. A ce niveau donc, tous trouvent normal que l'Etat y ait une mainmise totale. Puisqu'elle fait partie des organes étatiques. Concernant le FDPCC, la BCC le FRC, la mauvaise informtion a toujours circulé à leur sujet. On n'a cessé de faire croire que ces organes sont privés et que par conséquent ce sont les producteurs de café-caco qui ont eu la gestion du quotidien. Mais ce qu'on ne dit pas, c'est que le FDPCC, la BCC, le FRC ont dans leurs conseils d'administration respectifs des représentants de l'Etat ivoirien. D'autant que la filière fonctionne sous une double tutelle ; le ministère de l'Economie et des Finances (tutelle financière). En sus, aucun fonds ne peut être décaissé pour une opération d'achat sans la signature des deux (2) ministères, membres (à part entière du gouvernement de Côte d'Ivoire). Qui rendent compte au premier ministre qui, à son tour, tient le chef de l'Etat informé du fonctionnement de la reforme de la filière. Laurent Gbagbo ne saurait cacher la vérité aux Ivoiriens en jetant l'opprobre sur le monde paysan. Qui, en toute sincérité, n'a jamais eu à gérer tout seul et en toute autonomie le secteur dont les ressources ont servi à financer à hauteur de plus de 250 milliards la guerre contre la rébellion d'alors. Ainsi, le pouvoir Gbagbo et les paysans aujourd'hui désillusionnés sont comptables de la mauvaise gestion de la filière. Puisque pendant qu'un groupuscule de planteurs, bras séculier du régime, s'embourgeoise " sauvagement ", la majorité productrice de la première richesse du pays croupit dans la misère. Une des preuves que l'Etat est impliqué dans la gestion de la filière, ce sont la création et les fonctions attribuées au comité de pilotage. En effet, cette structure n'avait de compte à rendre qu'au chef de l'Etat, Laurent Gbagbo. C'est d'ailleurs après ce comité qu'est né un autre chargé du suivi et de validation des projets et programmes de la filière café-cacao que préside le secrétaire exécutif de l'ARCC, structure hautement étatique. Alors, peut-on après toutes ces informations, raconter aux Ivoiriens que la mauvaise gestion de la filière est seulement imputable aux paysans ? Bien sûr que non quand on n'ignore pas que les assemblées générales électives des structures susmentionnées ne peuvent se tenir qu'avec l'accord des ministères de tutelle. Par ailleurs, tous ces procès contre le FDPCC n'ont lieu que parce que le chef de l'Etat refuserait de signer un décret qui proroge le mandat officiellement, des membres du conseil de gestion. Et puis, tous les dirigeants des organes cités plus haut ne se plaisent-ils pas à déclarer qu'ils sont à leur poste grâce à un décret de Gbagbo ? Vraiment, trop de contrevérités qui déshonorent la Côte d'Ivoire.
C. Kwagne