Un an après l’accession de Ouattara au pouvoir, le pays reste divisé et n’arrive pas à sortir de la crise sociale et du tribalisme.
Par FANNY PIGEAUD Correspondante à Abidjan
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Drôle d’ambiance à Abidjan : un an après la chute de Laurent Gbagbo et l’investiture d’Alassane Ouattara à la présidence, le 21 mai 2011, les Ivoiriens attendent toujours une reprise économique qui ne vient pas. Le Fonds monétaire international (FMI) table pourtant sur un taux de croissance de 8% pour l’année en cours. Et de nombreux potentiels investisseurs étrangers se pressent à Abidjan. Mais, pour l’instant, rien de bien concret à la clé. «L’activité ne décolle pas, l’argent ne circule pas. On n’arrive pas à se faire payer par nos clients, les chantiers sont à l’arrêt, regrette le gérant d’une PME installée dans le quartier des affaires du Plateau. Si ça continue, on va être obligé de mettre des employés au chômage technique.»
Pendant ce temps, les prix augmentent malgré des mesures gouvernementales «contre la vie chère». «C’est normal que les gens se plaignent. Le pays revient de loin», explique Joël N’Guessan, responsable du Rassemblement des républicains (RDR, le parti au pouvoir). «L’essentiel de l’effort a été jusqu’ici porté sur ce qui avait été détruit avant et pendant la crise postélectorale, notamment les routes. Le président doit bientôt lancer de grands chantiers pourvoyeurs d’emplois. A partir de septembre, les Ivoiriens devraient sentir que les choses s’améliorent», promet-il.
Trafic de cacao. D’autres éléments pourraient expliquer la situation, comme la piètre qualité de la gouvernance dans les administrations. «Les modalités de recrutement et de promotion des fonctionnaires n’ont pas changé, souligne Patrick N’Gouan, président de la Convention de la société civile ivoirienne. Ce n’est pas la compétence qui joue, mais toujours le tribalisme et le népotisme.» Cela commence à la présidence : plusieurs membres de la famille de Ouattara sont devenus ses conseillers, un de ses frères est ministre chargé des Affaires présidentielles. Le niveau de la corruption reste en outre élevé, d’importants trafics, notamment de cacao, perdurent.
Le système d’imposition illégal, institué par la rébellion des Forces nouvelles (FN) dans le nord de la Côte-d’Ivoire entre 2002 et 2011, «loin d’avoir disparu, s’est au contraire étendu au sud du pays», s’alarme un récent rapport de l’ONU. Plusieurs ministres, qui figuraient déjà dans les gouvernements d’union nationale imposés à Laurent Gbagbo par les accords de paix passés avec les FN, ont mauvaise réputation. «On pensait que Ouattara les écarterait après les législatives [de décembre 2011, ndlr], mais ça n’a pas été le cas», explique un diplomate. Le 22 mai, le Président a tout de même limogé un ministre, après que des médias eurent révélé l’existence d’une enquête policière : Adama Bictogo, également député du RDR, est ainsi soupçonné d’avoir détourné, avec d’autres et avant qu’il ne soit ministre, une partie des indemnités destinées aux victimes de la société Trafigura, qui avait déversé en 2006 des déchets toxiques à Abidjan.
«Climat de terreur». Par ailleurs, même si elle s’est considérablement améliorée en un an, la situation sécuritaire n’est pas non plus encore de nature à rassurer les milieux économiques. Des rumeurs circulent évoquant des tentatives de «déstabilisation» par des officiers en exil dans les pays voisins, où ils sont plusieurs centaines. L’ONU vient d’intensifier ses patrouilles à certaines frontières, comme mesure de «dissuasion».
A l’intérieur du pays comme dans la capitale Abidjan, les braquages sont nombreux. La plupart sont commis par des ex-combattants qui ont aidé Ouattara à s’installer au pouvoir, mais n’ont pas été intégrés au sein des Forces républicaines de Côte-d’Ivoire (FRCI), la nouvelle armée. Pour ces hommes, «leur arme est un moyen d’assurer leur survie alimentaire», commente N’Guessan, précisant que la question de leur démobilisation préoccupe les autorités. Quant à la police et à la gendarmerie, elles ne peuvent jouer leur rôle : soupçonnées d’être pro-Gbagbo, ces forces ne sont pas armées. Les FRCI elles-mêmes n’ont la confiance de personne, pas même du Président, dont la sécurité est assurée par des militaires burkinabés et par les forces de l’ONU.
D’après une source onusienne, les FRCI, essentiellement commandées par des éléments issus des FN, entretiennent «un climat de terreur» à l’ouest et au sud du pays. Dans ces régions réputées favorables à l’ancien président Laurent Gbagbo, sévissent aussi partout des «milices» de dozos, des chasseurs traditionnels venus du nord du pays et proches du pouvoir. Depuis début mai, les FRCI effectuent «des rafles dans différents quartiers d’Abidjan. Pourquoi, on ne sait pas bien. Les gens sont amenés dans des camps [des FRCI, ndlr]. Ils peuvent y rester plus de soixante-douze heures sans raison», s’inquiète Kouamé Adjoumani Pierre, vice-président de la Ligue ivoirienne des droits de l’homme.
Ces opérations sont-elles destinées, comme le pensent des observateurs, à prévenir des manifestations de soutien à Gbagbo à l’approche de son audition, prévue le 18 juin devant la Cour pénale internationale à La Haye, où il est en détention depuis novembre 2011 ? En tout cas, elles ne contribuent pas à la «réconciliation nationale», prônée par les autorités et nécessaire pour une reprise économique, mais «à laquelle personne ne croit», selon une source diplomatique.
La justice, par exemple, donne toujours l’impression d’être partiale : une cinquantaine de membres du Front populaire ivoirien (FPI), le parti de Gbagbo, et une centaine de militaires arrêtés en même temps que l’ex-président, sont incarcérés, en attente de jugement depuis avril 2011. Mais aucun de ceux qui, dans le camp d’Alassane Ouattara, sont soupçonnés d’avoir commis des crimes contre l’humanité lors de la crise, n’a été inquiété. «Ça va arriver, tempère N’Guessan. Pour mener des enquêtes sérieuses, il faut du temps.»