Théophile Kouamouo
Le Nouveau Courrier
La semaine qui vient de s’achever a été «riche» en informations inquiétantes dans la rubrique «social» en Côte d’Ivoire. Après un long et éprouvant jeu du chat et de la souris, les actuels dirigeants de la Société des transports abidjanais (SOTRA) ont annoncé la mise au chômage technique de 1200 agents, soit près du tiers du personnel de l’entreprise. Une nouvelle qui intervient après l’annonce du licenciement de 120 personnes au Port autonome d’Abidjan, et la mise à l’écart de 322 employés à la Radio télévision ivoirienne (RTI), une autre structure parapublique.
Dans une interview accordée à Onuci FM, le ministre de la Fonction publique Gnamien Konan a annoncé la possibilité d’un plan de départs volontaires et un ralentissement dans l’organisation des concours de recrutement des serviteurs de l’Etat. En ce début de mois de février, les salariés du privé ont pu constater la baisse de leur salaire net, liée à l’augmentation du taux des cotisations retraite, qui a été couplée avec un allongement de l’âge de départ à la retraite – une forme de double peine, en somme. La relance annoncée d’Air Côte d’Ivoire n’est toujours pas à l’ordre du jour, et les employés de la compagnie aérienne sont sur le carreau. L’annonce par Alassane Ouattara de la privatisation et de la liquidation des banques publiques suscite les inquiétudes parmi les employés de ces institutions, qui craignent plans sociaux et démantèlements ravageurs. Alors que l’Université est toujours fermée et que les travaux n’avancent pas à un rythme rassurant pour une reprise des cours d’ici septembre, à tel point que le ministre Cissé Bacongo fait appel à des «étudiants volontaires» dans le cadre d’un marché pourtant gagné par une entreprise privée, qui ne fait pas dans le bénévolat. Dans les semaines ou les mois qui viennent, les prix de l’électricité et du carburant pourraient prendre l’ascenseur, les bailleurs de fonds faisant pression sur un gouvernement qui brûle d’arriver au point d’achèvement de l’initiative Pays pauvres très endettés (PPTE).
Pourquoi se voiler la face ? Pourquoi céder au messianisme anachronique des zélateurs du régime qui répètent comme un mantra «le pays est au travail» et nous font miroiter des «lendemains qui chantent» sur la seule foi des relations à l’étranger du «super économiste» ? La Côte d’Ivoire est entrée, de plain-pied, dans le temps de l’austérité. Après avoir conquis dans le feu et dans le sang un pays privé de paix et de stabilité pendant douze ans au nom de ses ambitions politiques, Alassane Ouattara fait face à la crise économique qui résulte de toutes ces années perdues en utilisant les méthodes sans originalité expérimentées sous sa houlette il y a vingt ans, alors qu’il était Premier ministre. A la hache, il se lance dans une coupe claire des dépenses publiques à travers une augmentation des prélèvements, une politique de licenciements et de gel des embauches. Et engage des privatisations des entreprises publiques dont on est en droit de penser qu’elles seront opaques, au regard des opérations de ce type menées quand il était à la Primature, et au vu de l’indécence avec laquelle ses ministres se distribuent les marchés publics.
L’austérité, donc. Dans l’état où la Côte d’Ivoire se trouve actuellement, était-elle inévitable ? Peut-être. Mais elle sera forcément mal vécue, et très mal acceptée. Pour plusieurs raisons.
Premièrement, parce que la campagne incroyablement populiste et démagogique d’Alassane Ouattara à l’occasion de l’élection présidentielle, ainsi que la mythologie sur le triptyque Argent-Diamant-Or (ADO), a inconsciemment préparé les esprits faibles à une «pluie de milliards» qui n’arrivera pas de sitôt. Quand il promettait cinq universités en cinq ans, un million d’emplois en cinq ans, quand il disait que son métier était de trouver l’argent, quand il refusait tout argument expliquant les difficultés économiques par la guerre, savait-il que sa forfanterie se retournerait contre lui s’il arrivait au pouvoir ? Etre un homme d’Etat, c’est aussi faire campagne comme un homme d’Etat, même quand il se trouve qu’on est dans l’opposition.
Deuxièmement, parce qu’il est visiblement incapable de créer l’union sacrée autour du redressement national, enfermé avec ses partisans dans un récit national subverti où ils représentent le bien absolu tandis que le camp Gbagbo représente le mal absolu, la cause unique de l’état pitoyable dans lequel se trouve la Côte d’Ivoire aujourd’hui. Mais à qui peut-on faire croire que la stratégie coûteuse de prise du pouvoir de l’actuel chef de l’Etat n’a rien à voir avec le fait que la Côte d’Ivoire soit le dernier pays africain, avec le Soudan, à n’avoir pas bouclé son programme PPTE ? Que les dizaines de bus calcinés par les activistes «républicains», notamment lors de la guerre postélectorale, n’expliquent pas en partie les problèmes apparents de la SOTRA ? Que le fait que les zones CNO ne paient pas leurs factures d’électricité pendant près de dix ans n’a pas aggravé les déséquilibres du secteur ? Que les pillages hystériques des FRCI et associés qui n’ont pas épargné les campus ne justifient pas, plus que toute autre considération, les deux années blanches qui désespèrent les étudiants ?
Troisièmement, comment peut-on accepter les sacrifices et privations alors qu’à peine installés, les copains et les coquins de la «nouvelle» Côte d’Ivoire se signalent par leur passion du «business», instrumentalisant l’Etat pour s’enrichir personnellement sans scrupules excessifs ? Alors que la RTI, par exemple, met des professionnels expérimentés à la porte pour recruter des activistes de TCI, ancienne télé pirate du RDR ? Alors que l’idéologie antirépublicaine du «rattrapage ethnique», assumée au sommet de l’Etat, se déploie sans vergogne ?
Quatrièmement, le refus quasi-structurel de ce pouvoir d’engager le dialogue social avec les syndicats et l’opposition sur les réformes qu’il juge nécessaires et de communiquer clairement avec le peuple sur les sacrifices qui lui sont et lui seront demandés n’arrange rien.
L’austérité qui vient sera difficilement acceptée. Et il est fort probable que le régime Ouattara utilise la stratégie de la tension qui lui a tant «réussi» dans l’opposition et lors de son installation au pouvoir pour empêcher, par la menace latente, la contrainte explicite ou la violence de rue, toute montée du mercure social.