ARTICLE DE FRANCIS WODIE - PROFESSEUR DE DROIT - CONSTITUTIONNALISTE - PRESIDENT DU PIT
Francis wodié
Après plusieurs reports depuis 2005, l'élection présidentielle, donnée comme la porte de sortie de la crise, a pu, enfin, se tenir, le 31 octobre 2010 pour le 1er tour et le 28 novembre 2010 pour le second tour.
Les résultats proclamés par la Commission électorale indépendante, confirmés par le "certificateur", donnent M. Alassane OUATTARA vainqueur, avec 54,10 % des suffrages exprimés, face à M. Laurent GBAGBO, crédité de 45,90 % des voix.
Quant au Conseil constitutionnel, après avoir, comme par hasard, annulé, sans discernement, le scrutin dans sept (7) départements du Centre et du Nord, sur requête du candidat Laurent GBAGBO, il a proclamé celui-ci élu avec 51,45 % des voix contre 48,55 % au candidat Alassane OUATTARA, inversant de son seul chef les résultats fournis par la CEI.
La Côte d'Ivoire, déjà meurtrie, les Ivoiriens, déjà épuisés et ruinés par une crise sans fin, se retrouvent en présence « de deux chefs d'Etat « investis » et ayant constitué leur Gouvernement, donnant ce monstre de bicéphalisme qui est à l'origine des affrontements sanglants que connait depuis le pays. Le Parti Ivoirien des Travailleurs (PIT) ne peut se taire, face à une telle situation qui menace d'un péril certain la Nation tout entière.
2- La régularité de la certification
La certification est prévue par l'accord de Pretoria de 2005, donc acceptée par les différentes parties engagées dans le processus de sortie de crise. Elle est confirmée et organisée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies à travers la résolution 1765 adoptée en juillet 2007.
Dans un contexte de suspicion généralisée et de déficit de confiance, la certification, voulue par les parties ivoiriennes, et donc par Laurent GBAGBO, a pour but d'éviter les contestations inutiles, en permettant d'avoir des élections « ouvertes, libres, justes, et transparentes » avec des résultats reconnus et acceptés en toute confiance et sérénité. La mise en ouvre de la certification a été confiée au Représentant spécial du Secrétaire Général de l'Organisation des Nations Unies qui a déjà certifié, entre autres, la liste électorale et les résultats du 1er tour de l'élection présidentielle, à la satisfaction générale. Et c'est la méthode par lui utilisée au 1er tour qui a servi pour la certification des résultats du second tour. C'est pourquoi, le PIT salue l'objectivité et l'honnêteté du Représentant spécial du Secrétaire Général de l'ONU, et constate la régularité et la sincérité de la certification opérée.
Il suit de ce qui précède que le camp Laurent GBAGBO n'est pas fondé à parler d'ingérence ou d'immixtion dans les affaires intérieures de la Côte d'Ivoire. L'ingérence, à la supposer établie, cesse d'en être, dès lors qu'elle est consentie par les autorités ivoiriennes dont la plus haute était Laurent GBAGBO, tout comme nous sommes allés chercher honteusement à Pretoria en 2005 l'autorisation d'user de l'article 48 de la Constitution ivoirienne. C'est donc à la demande expresse des Autorités ivoirienne que la communauté internationale s'est impliquée financièrement, techniquement et matériellement autant que dans les domaines de l'arbitrage et de la certification. La certification bien que contraignante pour la souveraineté nationale mais voulue et placée à la fin de la procédure, postérieurement à la décision du Conseil Constitutionnel, s'offre comme la décision finale ; ceux qui l'ont voulu doivent s'y plier en toute bonne foi.
Pour toutes ces raisons, le PIT ne peut comprendre ni accepter la position et la décision du Conseil constitutionnel et tout le brouhaha suscité par cette certification.
B- Le caractère irrégulier et surréaliste de la décision du Conseil constitutionnel
Tout d'abord, le PIT se choque de la précipitation avec laquelle le Conseil constitutionnel, qui disposait de sept (7) jours pour dépouiller les 22 000 procès-verbaux et examiner le recours et les moyens invoqués par le candidat Laurent GBAGBO, a rendu sa décision le 3 décembre 2010 à 15 heures 30. On peut douter et on doute que les membres du Conseil constitutionnel aient pu dépouiller tous les procès-verbaux en quelques heures. En effet, tout porte à croire que la décision du Conseil constitutionnel, qui s'étale sur de longues pages, était prête avant même la réception du dossier et qu'il ne s'était agi que d'apporter les adaptations à partir des instructions du candidat Laurent GBAGBO.
En deuxième lieu, les violences et les irrégularités sur la base desquelles le Conseil constitutionnel a invalidé globalement le scrutin dans sept (7) départements du Centre et du Nord ne sont pas corroborées par les faits : les préfets affirment, au contraire, que le scrutin s'est déroulé de façon acceptable. Et puis, comment se fait-il que le Conseil constitutionnel, si soucieux de justice, n'ait pas invalidé le scrutin dans les zones de l'Ouest où des troubles sérieux et des assassinats ont eu lieu avant et pendant le scrutin ? Voudrait-on susciter de graves divisions de caractère régionaliste avec à la clé des conflits interethniques qu'on n'aurait pas procédé autrement.
Enfin, la violation de la loi portant code électoral : son article 64 nouveau, alinéa 1er, tel que résultant de l'ordonnance de 2008 portant ajustements au code électoral, énonce : « Dans le cas où le Conseil constitutionnel constate des irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin et à en affecter le résultat d'ensemble, il prononce l'annulation de l'élection et notifie sa décision à la Commission électorale indépendante qui en informe le Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies et le Représentant spécial du Facilitateur à toutes fins utiles. La date du nouveau scrutin est fixée par décret pris en Conseil des Ministres sur proposition de la CEI. Le scrutin a lieu ou au plus tard 45 jours à compter de la date de la décision du .C.C »
Comment se fait-il alors, que privant le candidat Alassane OUATTARA de plus d'un demi million de voix sur la base d'irrégularités graves (article 64 nouveau du Code électoral en inversant ainsi les résultats, le Conseil constitutionnel n'ait pas cru devoir appliquer la loi en annulant toute l'élection afin qu'on la reprenne conformément à la loi ?
En imposant une telle obligation au Conseil constitutionnel, celle d'annuler l'élection en pareil cas, la loi a voulu restituer au peuple souverain son droit de désigner souverainement ses représentants, ici le Président de la République. Le rappeler, c'est souligner qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer sa volonté à celle du peuple, seul arbitre en pareille situation.
Voilà qui est bien curieux et qui dénote le parti-pris du Conseil constitutionnel qui ne pouvait pas ignorer la loi en la matière ; le Conseil constitutionnel achève ainsi de se discréditer et de se disqualifier. La décision du Conseil constitutionnel est contraire au droit ; elle est tout aussi contraire à la volonté clairement exprimée du peuple de Côte d'Ivoire.
Le problème a cessé d'être juridique ; il est devenu un problème essentiellement politique et moral.
I- SUR LES RESULTATS DU SCRUTIN
Tout est parti de là : quels sont les vrais résultats du scrutin et, par conséquent, qui en est le vainqueur ?
L'observation et l'analyse des faits, à la lumière des textes régissant l'élection présidentielle en Côte d'Ivoire, amènent à constater, d'une part, la validité des résultats proclamés par la Commission électorale indépendante (CEI) et certifiés par le Représentant spécial du Secrétaire Général de l'ONU et, d'autre part, le caractère irrégulier et surréaliste de la décision du Conseil constitutionnel.
A. La validité des résultats proclamés par la CEI et certifiés par le Représentant spécial du Secrétaire Général de l'ONU.
1- La validité des résultats proclamés par la CEI
Il est constant qu'au regard de la Constitution (art. 38) et de l'ordonnance portant ajustements au code électoral (art. 59), la CEI est compétente pour proclamer les résultats provisoires de l'élection présidentielle. Ce point n'est pas contesté. Ce qui, au contraire, fait débat, se rapporte au moment et au lieu où la proclamation des résultats est intervenue.
D'abord, la date : le délai dans lequel la CEI doit agir n'apparaît pas avec toute la clarté souhaitable. Toutefois, en interprétant les textes et en ne perdant pas de vue le précédent né du 1er tour de l'élection présidentielle, on doit admettre que la CEI avait à (devait) proclamer les résultats dans un délai trois (3) jours. La Commission n'a pu agir dans ce délai, ayant, comme chacun a pu le constater à la télévision, été empêchée de le faire par Messieurs DAMANA PICKAS et TOKPA, membres de la CEI pour le compte du camp présidentiel. Au regard du droit et même du simple bon sens, le camp présidentiel est mal-fondé à invoquer la forclusion qu'il a provoquée intentionnellement. Car, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude (de sa propre faute), pour en tirer un avantage quelconque.
Au surplus, existe le précédent né du 1er tour, lequel donne à constater que les résultats ont été proclamés au petit matin du 4ème jour suivant la clôture du scrutin, acceptés de tous, confirmés par le Conseil constitutionnel ( qui n'avait guère parlé de forclusion) et certifiés par le Représentant spécial du Secrétaire Général des Nations Unies ; ce précédent autorise à affirmer que les résultats du second tour, donnés également au quatrième jour, doivent être tenus pour réguliers.
Ensuite, le lieu : les résultats proclamés, non pas au siège de la CEI, mais plutôt au Golf Hôtel, seraient-ils frappés de nullité ?
Pas du tout. Car, ayant l'obligation de proclamer les résultats, et physiquement empêché par les mêmes de le faire au siège de la CEI, le Président de ladite Commission n'avait pas le choix : à l'impossible nul n'est tenu.
Enfin, la vraie question, par-delà la diversion tenant à la date et au lieu de la proclamation des résultats, est celle-ci : les résultats proclamés sont-ils, oui ou non, conformes à ceux contenus dans les procès-verbaux collectés et validés par les différents niveaux des Commissions électorales ?
La réponse est sans équivoque : il résulte des procès-verbaux dont copie a été adressée à différentes autorités et au Conseil constitutionnel que le candidat Alassane OUATTARA est le vainqueur de l'élection présidentielle. Et c'est parce qu'il en est ainsi que des problèmes ont été artificiellement suscités et entretenus.
C'est dire que la Commission Electorale Indépendante (CEI), qui n'a pas pouvoir pour modifier les résultats issus des procès-verbaux mais plutôt l'obligation de les proclamer tels quels, après vérification de la régularité formelle des procès-verbaux, a fait son travail régulièrement, proprement, conformément aux exigences de la loi et de la démocratie et que, par suite, les résultats par elle proclamés sont valides.