C’est une audition décisive. Entendu par le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke, en
charge du volet financier de l’affaire Karachi, le 2 décembre, un ancien haut fonctionnaire du
ministère de la Défense, Gérard-Philippe Menayas, indique pour la première fois queNicolas Sarkozy ne pouvait ignorer le versement de commissions enmarge de la signature d’un contrat d’armement avec le Pakistan, au coeur du scandale. D’après son procès-verbal d’audition que nous avons pu consulter, l’ancien directeur administratif et financier de la DCNI, la branche internationale de la Direction des constructions navales, a déclaré au juge queNicolas Sarkozy, alorsministre du Budget, avait donné son accord en 1994 à la création de la société luxembourgeoise Heine. Or, cette société est une des clefs de voûte de l’affaire. Avec d’autres structures opaques créées lamême année dans des paradis fiscaux, Heine devait recevoir les commis-sions destinées à des intermédiaires en armement, dont Ziad Takieddine, déjà mis en examen dans ce dossier (entre 1994 et 1995, cette société a reçu 185 millions de francs de la DCNI). Les juges suspectent que ces commissions ont ensuite donné lieu à des rétrocommissions ayant servi à financer la campagne de Balladur en 1995, dont Sarkozy a été le porte-parole.
SANS AMBIGUÏTÉS.
«Il est clair que leministère du Budget a nécessairement donné son accord pour la création
deHeine, indiqueMenayas sur PV. Vu l’importance du sujet, cette décision ne pouvait être prise qu’au niveau du cabinet duministre.A mon niveau, j’avais pour correspondant auministère du BudgetMme L., de la direction du Budget, qui était parfaitement au courant.» La déclaration est sans ambiguïtés. Le juge, qui
dispose d’une note saisie dans les locaux de laDCNI et qui fait état de l’accord de Sarkozy pour la création
de Heine, insiste. «Si je vous comprends bien, lamise en place de la structure Heine n’a donc pu se faire qu’avec le double accord des deux cabinets duministre du Budget et celui de laDéfense [François Léotard].
Est-ce exact ?» Réponse, toujours très claire: «Oui. J’ai une expérience en lamatière, ayant travaillé
six ans à la direction du Trésor. Je n’imagine pas qu’une telle décision ait pu être prise sans l’aval du cabinet
du ministre.» Un peu plus tôt,Menayas avait indiqué: «Si ces précautions n’avaient pas été prises, je n’aurais jamais obtenu […] l’accord de la direction générale des impôts […] pour payer des commissions viaHeine.» Des révélations qui ont en partie été confirmées par DominiqueCastellan, ancien PDG de la DCNI, mis en examen le 13 décembre pour«abus de biens sociaux». L’audition deMenayas renforce les conclusions d’un rapport de la police luxembourgeoise du 10 janvier 2010 qui soulignait que Heine avait été développé en 1994 avec l’accord de Sarkozy. Deux commissaires évoquaientmême l’existence de «rétrocommissions pour payer des campagnes politiques en France». Contacté hier par Libération, l’Elysée n’a pas souhaité réagir à ces révélations, nous invitant à consulter les démentis déjà apportés dans le cadre de cette affaire qualifiée de «fable» par le chef de l’Etat. Et de «fable à épisodes» par un de ses porte-parole. Lors d’un off en novembre 2010, Nicolas Sarkozy était allé un peu plus loin en confiant à des journalistes : «Y a-t-il un document qui montre à un moment ou à un autre que j’ai donné instruction de créer des sociétés luxembourgeoises ? Alors peut-être que le ministère l’a fait à unmoment, j’ai étéministre du Budget deux ans, peut-être. Mais moi non, jamais!Moi, je ne sais pas. Je ne sais rien.» Reste que si, à ce jour, aucun document portant la signature de Sarkozy ne figure à l’instruction, cela ne dément pas
son implication.
TRÈS PROCHE.
Le rôle du Président n’est pas la seule révélation de Menayas. Ce dernier indique également
que c’est Benoît Bazire qui a suivi la signature du contrat avec le Pakistan. Benoît Bazire est alors à la direction générale de l’armement. Il est aussi le frère deNicolas Bazire, alors directeur de cabinet de Balladur àMatignon et qui deviendra directeur de campagne du Premierministre en 1995. Ce très proche de Sarkozy a été mis en examen en septembre pour abus de biens sociaux. «Pour quelle raison M. Benoît Bazire suivait-il particulièrement le contrat pakistanais?» demande le juge à Menayas. «Je l’ignore. Je l’ai appris incidemment par lui-même lors d’une réunion […] entremars et juin 1994. Ce qui m’a surpris au cours de cette réunion, c’est que M. Benoît Bazire insistait tout particulièrement pour être informé en temps réel de tout événement lié à l’avancement de la négociation de ce contrat.» Ce dernier pourrait être entendu par le juge prochainement.•
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