Principaux acteurs impliqués
L’interdiction des crimes de guerre et
des crimes contre l’humanité fait partie des proscriptions les
plus fondamentales du droit pénal international. Selon le Statut de Rome
de la Cour pénale internationale (CPI), les crimes contre
l’humanité peuvent être commis en période de paix ou de
conflit armé et consistent en des actes spécifiques commis de
façon généralisée ou systématique dans le
cadre d’une « attaque contre une population civile »,
ce qui signifie qu’il existe un certain degré de planification ou
de politique de la part des autorités. De tels actes incluent le
meurtre, le viol et la persécution d’un groupe pour des motifs
d’ordre politique, ethnique ou national.[261] Les
crimes de guerre dans un conflit armé qui n’est pas de nature
internationale comprennent le fait de tuer des personnes ne prenant pas de part
active aux hostilités, y compris des membres des forces armées qui
ont été détenus, et de mener intentionnellement des
attaques contre des civils qui ne participent pas directement aux
hostilités.[262]
Lorsque des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre sont
commis, les personnes ayant une autorité de commandement qui auraient
dû avoir connaissance du crime et ne l’ont pas empêché
ou n’ont pas lancé d’enquêtes ni de poursuites
à l’encontre de leurs auteurs présumés peuvent
être tenues pénalement responsables.[263]
Sur la base de ses recherches sur le terrain,
Human Rights Watch a identifié les personnes suivantes comme
étant responsables—soit au titre de leur participation directe,
soit au titre de leur responsabilité de commandement—de certains
crimes graves commis durant la période post-électorale :
Camp Gbagbo
Laurent Gbagbo –
L’ex-Président était le commandant en chef des forces
armées, lesquelles ont commis des crimes de guerre et, probablement, des
crimes contre l’humanité. Il a désigné comme
ministre de la Jeunesse son allié de longue date Charles Blé
Goudé, instaurant un lien direct avec le mouvement des Jeunes patriotes,
responsable de nombreux meurtres perpétrés sur la base de
critères ethniques. Bien qu’il soit clairement établi que
ses forces armées et ses milices ont commis des crimes graves, Laurent
Gbagbo n’a ni dénoncé ni pris de mesures pour
prévenir de tels crimes ou ouvrir des enquêtes. Lorsque les Forces
républicaines ont pris son palais présidentiel, elles ont
découvert un arsenal impressionnant d’armes lourdes—dont
beaucoup étaient du même type que celles utilisées dans des
attaques à l’aveugle qui ont occasionné de nombreuses
victimes civiles. Laurent Gbagbo a été arrêté le 11 avril
par les Forces républicaines ; il a été
inculpé le 18 août par le procureur Simplice Koffi pour
crimes économiques, dont détournement de fonds, vol
aggravé et concussion. [264] Il se trouve actuellement en détention préventive dans
le nord du pays.
Charles Blé Goudé – Il a longtemps été secrétaire
général des Jeunes patriotes, une milice impliquée dans
des centaines de meurtres rien qu’à Abidjan. Ses miliciens ont
souvent travaillé étroitement avec les forces d’élite
de sécurité en prenant pour cible les partisans d’Alassane
Ouattara. Plutôt que de dissuader ses partisans de recourir à la
violence, Charles Blé Goudé a prononcé des discours
pouvant constituer des incitations à la violence. Le 25 février,
par exemple, dans un discours largement diffusé, il a appelé ses
partisans à ériger des barrages routiers dans leur quartier et
à « dénoncer » les étrangers—un
terme explosif employé par le camp Gbagbo pour désigner les Ivoiriens
du Nord et les immigrés ouest-africains. Immédiatement
après cet appel, Human Rights Watch a documenté une nette
augmentation des violences commises par les Jeunes patriotes, le plus souvent
selon des critères ethniques ou religieux. Selon Human Rights Watch,
Charles Blé Goudé est vraisemblablement impliqué dans des
crimes contre l’humanité. Selon certaines sources, il se cacherait
au Ghana, mais sa présence a auparavant été
signalée au Bénin et en Gambie.[265] Le 1er juillet,
le procureur Simplice Koffi a annoncé que les autorités
demandaient un mandat d’arrêt international contre Charles
Blé Goudé pour ses crimes post-électoraux. [266]
Général Philippe Mangou – En tant que chef d’état-major des forces
armées sous le régime de l’ex-Président Laurent
Gbagbo, Philippe Mangou était à la tête de troupes qui
auraient commis des crimes de guerre et, probablement, des crimes contre
l’humanité. La presse internationale et ivoirienne s’est
largement fait l’écho de ces crimes. Pourtant, Philippe Mangou
n’a pris aucune mesure concrète pour les empêcher, ni ouvert
d’enquêtes contre ceux qui ciblaient systématiquement les
partisans d’Alassane Ouattara. Le 21 mars, Philippe Mangou se
trouvait au siège de l’état-major aux côtés de
Charles Blé Goudé venu s’adresser à des milliers de
Jeunes patriotes—ayant déjà pris part dans de nombreux
meurtres et viols—venus entendre son appel à défendre le
pays. D’après de nombreuses sources médiatiques, Philippe
Mangou aurait promis—alors que les jeunes scandaient : « On
veut des kalachnikovs »—que l’armée prendrait
« tout le monde sans tenir compte ni du diplôme, ni de
l’âge », ajoutant que « [c]e qui
compte ici, c’est la volonté et la détermination de chacun.
[…] Nous vous convoquerons au moment opportun pour le combat ».[267]
Les Jeunes patriotes ont continué à commettre des
atrocités au cours des semaines suivantes. Le général
Philippe Mangou, maintenu un temps chef d’état-major par Alassane
Ouattara, a été rapidement remplacé par le
général Soumaïla Bakayoko le 7 juillet.
Général Guiai Bi Poin – Guiai Bi Poin a été le chef du CECOS (Centre de
commandement des opérations de sécurité), responsable de disparitions
forcées, de violences sexuelles, de tirs à armes lourdes à
l’aveugle tuant des civils et de la répression brutale des
manifestations. Dans l’ensemble, compte tenu à la fois de leur
ampleur et de leur caractère systématique, les crimes commis sous
son commandement constituent, probablement, des crimes contre
l’humanité. Guiai Bi Poin n’a jamais dénoncé ces
crimes, et encore moins ouvert d’enquêtes contre des soldats
suspectés de les avoir commis—, malgré le rôle
important que le CECOS a joué dans les attaques contre des partisans
d’Alassane Ouattara, rôle maintes fois dénoncé par
des organisations de défense des droits humains ainsi que par la presse
internationale et ivoirienne. Les membres de cette unité
d’élite étaient facilement identifiables grâce
à leurs véhicules marqués « CECOS ».
Les quartiers d’Abobo et de Koumassi où se trouvaient des bases de
« Camp Commando » dans lesquelles étaient
stationnées les forces du CECOS ont particulièrement souffert.
Alliées de longue date de Laurent Gbagbo, les forces de Guiai Bi Poin
ont été l’une des dernières à se rendre. Un
procureur militaire a entendu le général Bi Poin le 13 mai,
le libérant à condition qu’il promette de répondre
à une convocation ultérieure.[268]
Le général Bi Poin ne faisait toutefois pas partie des 57 militaires
inculpés au début du mois d’août, prenant même
part le 22 juin à un rassemblement d’officiers chargés
de désigner la nouvelle armée ivoirienne.[269]
Toutefois, après la découverte présumée d’un
charnier dans l’école de gendarmerie dont il était le
commandant, le général Bi Poin a été
arrêté le 20 août. Cinq jours plus tard, un procureur
l’a inculpé pour « crimes économiques »
et placé en détention préventive à Abidjan. [270]
Général Bruno Dogbo
Blé – Bruno Dogbo Blé a
été le commandant de la Garde républicaine,
impliquée dans des cas de disparitions forcées, la
répression brutale des manifestations et la persécution
d’immigrés ouest-africains. Pris globalement, les crimes commis
sous son commandement constituent, probablement, des crimes contre
l’humanité. Le quartier de Treichville à Abidjan, où
se trouve le camp de la Garde républicaine, a particulièrement
souffert. Tout comme le général Guiai Bi Poin, bien que des
groupes de défense des droits humains et la presse se soient fait
l’écho des crimes commis par ses forces, Bruno Dogbo Blé ne
les a jamais dénoncés, et a encore moins ouvert des
enquêtes contre les soldats qui en étaient responsables. Bruno
Dogbo Blé a été arrêté par les Forces
républicaines le 15 avril. Au moment de la rédaction de ce
rapport, il était détenu dans un camp militaire à Korhogo.
Un procureur militaire l’a inculpé le 11 août pour son
rôle dans certains crimes de sang commis durant les violences post-électorales. [271]
« Bob Marley » – Ce chef mercenaire libérien qui a combattu pour Laurent
Gbagbo dans l’ouest du pays est impliqué dans deux massacres et
d’autres meurtres ayant fait au moins 120 morts, dont des hommes,
des femmes et des enfants. D’après des victimes et des
témoins, il a pris part et aidé à orchestrer des attaques
dans lesquelles des immigrés ouest-africains et des Ivoiriens du Nord
ont été pris pour cible sur la base de critères ethniques.
Il a été arrêté au Libéria en mai 2011. Au
moment de la rédaction de ce rapport, il était détenu à
Monrovia dans l’attente de son inculpation pour « mercenarisme ».[272]
Général Pierre Brou Amessan,
directeur de la RTI – En tant que directeur de
la chaîne de télévision RTI contrôlée par
Laurent Gbagbo, il a régulièrement supervisé des
émissions qui incitaient à la violence contre les partisans
d’Alassane Ouattara et les étrangers, appelant les vrais Ivoiriens
à les « dénoncer » et à
« nettoyer » le pays. Des violences de grande
ampleur contre des partisans de Laurent Gbagbo s’en sont souvent suivies.
La chaîne a également encouragé l’attaque de
personnels et de véhicules des Nations Unies, attaques qui se sont
répétées durant toute la crise. D’après le
Statut de Rome, les crimes de guerre comprennent « [l]e fait de
diriger intentionnellement des attaques contre le personnel, les installations,
le matériel, les unités ou les véhicules employés
dans le cadre d’une mission […] de maintien de la paix […]
pour autant qu’ils aient droit à la protection que le droit
international des conflits armés garantit aux civils et aux biens de caractère
civil ».[273]
Denis Maho Glofiéhi – Connu sous le nom de « Maho », il
a longtemps été le chef des milices pro-Gbagbo présentes
dans l’ouest du pays. En juillet 2010, il a indiqué à Human
Rights Watch avoir commandé 25 000 combattants sous la
bannière du Front de libération du Grand Ouest (FLGO).[274]
Les milices qui auraient été sous le commandement de Maho ont
participé à des massacres dans l’ouest du pays et à
Abidjan—où il a été aperçu lors des derniers
mois de la crise, souvent en compagnie de Charles Blé Goudé. Maho
aurait fui Yopougon avant l’arrivée des Forces
républicaines. Le lieu où il se trouve actuellement n’est
pas connu publiquement.
Camp Ouattara
Capitaine Eddie Médi (ou Eddy
Médy, variante orthographique utilisée par certains médias
ivoiriens) – Eddie Médi était le
commandant des Forces républicaines chargé de mener
l’offensive de mars de Toulepleu à Guiglo. Le long de cet axe, de
nombreux hommes, femmes et enfants guérés ont été
tués, au moins 20 femmes ont été violées, et
plus de 10 villages réduits en cendres. Des rapports fiables
indiquent que les forces sous son commandement ont perpétré
d’autres massacres après avoir pris le contrôle de la
région, Eddie Médi menant depuis sa base à
Bloléquin des opérations de « nettoyage ». [275] Eddie Médi ne semble avoir pris aucune action sérieuse
pour empêcher les crimes ni punir ceux qui en étaient responsables
dans ses rangs. Au moment de la rédaction de ce rapport, Eddie
Médi était toujours commandant à Bloléquin.
Commandant Fofana Losséni – Le 10 mars, Guillaume Soro l’a affublé du
titre de chef de la « pacification de l’extrême ouest »,
l’identifiant comme le supérieur du capitaine Eddie Médi et
le commandant en chef de l’offensive des Forces républicaines dans
l’ouest du pays. Également connu sous le diminutif de
« Loss », il a été le commandant de
secteur des Forces nouvelles à Man. Des soldats sous son commandement
ont pris le contrôle de Duékoué le 29 mars au matin et
joué un rôle important dans le massacre de centaines de personnes
dans le quartier Carrefour. Aucune action sérieuse ne semble avoir
été prise par Loss pour empêcher ces crimes ou punir ceux
qui en étaient responsables dans ses rangs. Au moment de la
rédaction de ce rapport, il était toujours commandant des Forces
républicaines. D’après la presse ivoirienne, il a
été nommé vice-commandant d’une force
d’élite ivoirienne appelée à suivre une formation en
France. [276]
Commandant Chérif Ousmane – Durant l’assaut final sur Abidjan, il était le
chef des opérations des Forces républicaines à Yopougon,
où de nombreux partisans présumés de Laurent Gbagbo ont
été sommairement exécutés. D’après un
soldat de sa « compagnie Guépard », Chérif
Ousmane aurait lui-même ordonné l’exécution de 29 prisonniers
début mai. Longtemps commandant des Forces nouvelles à
Bouaké, un rapport de l’IRIN—service de nouvelles et
d’analyses humanitaires—de 2004 indique que celui-ci a
supervisé des forces impliquées dans l’exécution
sommaire de mercenaires libériens et sierra-léonais. [277] Le 3 août2011, le Président
Ouattara a promu Chérif Ousmane au rang de commandant-en-second du
Groupe de sécurité de la présidence de la
République. [278]
Commandant Ousmane Coulibaly – Longtemps commandant de secteur des Forces nouvelles à
Odienné, Ousmane Coulibaly a dirigé des soldats des Forces
républicaines impliqués dans des actes de torture et des
exécutions sommaires dans le secteur Koweit de Yopougon. Ces
événements se sont déroulés sur plusieurs semaines,
et aucune action ne semble avoir été prise par Ousmane Coulibaly
pour prévenir les crimes ou en punir les responsables. À
l’époque, Ousmane Coulibaly avait comme nom de guerre
« Ben Laden ». Il en changera le 20 juin 2011 pour
devenir « Ben le sage ». Au moment de la
rédaction de ce rapport, il était toujours officier de commandement
des Forces républicaines.
Forces non officiellement alignées
Amadé Ouérémi
(couramment appelé « Amadé ») – Chef d’un groupe burkinabé puissamment
armé dans la région du Mont Péko dans
l’extrême ouest de la Côte d’Ivoire, Amadé
Ouérémi et ses hommes ont été identifiés par
de nombreux témoins comme figurant parmi les principaux auteurs du
massacre survenu à Duékoué le 29 mars dans le
quartier Carrefour. Des témoins et des habitants de ce quartier ont
indiqué à Human Rights Watch et à Fraternité-Matin,
le quotidien contrôlé par l’État, qu’Amadé
Ouérémi avait combattu aux côtés des Forces
républicaines à Duékoué, [279] sans
qu’il n’existe toutefois de chaîne de commandement claire
entre les deux forces. Le 10 août, la mission de maintien de la paix
des Nations Unies a recueilli les armes et les munitions de « près
de 90 membres » du groupe d’Amadé
Ouérémi. [280] Les habitants du quartier ont cependant confié à Human
Rights Watch et à Fraternité-Matin que les hommes
d’Amadé Ouérémi ne s’étaient défaits
que d’une petite partie de leur arsenal. [281]
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