jeudi 6 octobre 2011

Principaux acteurs impliqués des tueries en CI


Principaux acteurs impliqués

L’interdiction des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité fait partie des proscriptions les plus fondamentales du droit pénal international. Selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), les crimes contre l’humanité peuvent être commis en période de paix ou de conflit armé et consistent en des actes spécifiques commis de façon généralisée ou systématique dans le cadre d’une « attaque contre une population civile », ce qui signifie qu’il existe un certain degré de planification ou de politique de la part des autorités. De tels actes incluent le meurtre, le viol et la persécution d’un groupe pour des motifs d’ordre politique, ethnique ou national.[261] Les crimes de guerre dans un conflit armé qui n’est pas de nature internationale comprennent le fait de tuer des personnes ne prenant pas de part active aux hostilités, y compris des membres des forces armées qui ont été détenus, et de mener intentionnellement des attaques contre des civils qui ne participent pas directement aux hostilités.[262] Lorsque des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre sont commis, les personnes ayant une autorité de commandement qui auraient dû avoir connaissance du crime et ne l’ont pas empêché ou n’ont pas lancé d’enquêtes ni de poursuites à l’encontre de leurs auteurs présumés peuvent être tenues pénalement responsables.[263]
Sur la base de ses recherches sur le terrain, Human Rights Watch a identifié les personnes suivantes comme étant responsables—soit au titre de leur participation directe, soit au titre de leur responsabilité de commandement—de certains crimes graves commis durant la période post-électorale :

Camp Gbagbo

Laurent Gbagbo – L’ex-Président était le commandant en chef des forces armées, lesquelles ont commis des crimes de guerre et, probablement, des crimes contre l’humanité. Il a désigné comme ministre de la Jeunesse son allié de longue date Charles Blé Goudé, instaurant un lien direct avec le mouvement des Jeunes patriotes, responsable de nombreux meurtres perpétrés sur la base de critères ethniques. Bien qu’il soit clairement établi que ses forces armées et ses milices ont commis des crimes graves, Laurent Gbagbo n’a ni dénoncé ni pris de mesures pour prévenir de tels crimes ou ouvrir des enquêtes. Lorsque les Forces républicaines ont pris son palais présidentiel, elles ont découvert un arsenal impressionnant d’armes lourdes—dont beaucoup étaient du même type que celles utilisées dans des attaques à l’aveugle qui ont occasionné de nombreuses victimes civiles. Laurent Gbagbo a été arrêté le 11 avril par les Forces républicaines ; il a été inculpé le 18 août par le procureur Simplice Koffi pour crimes économiques, dont détournement de fonds, vol aggravé et concussion. [264] Il se trouve actuellement en détention préventive dans le nord du pays.
Charles Blé Goudé – Il a longtemps été secrétaire général des Jeunes patriotes, une milice impliquée dans des centaines de meurtres rien qu’à Abidjan. Ses miliciens ont souvent travaillé étroitement avec les forces d’élite de sécurité en prenant pour cible les partisans d’Alassane Ouattara. Plutôt que de dissuader ses partisans de recourir à la violence, Charles Blé Goudé a prononcé des discours pouvant constituer des incitations à la violence. Le 25 février, par exemple, dans un discours largement diffusé, il a appelé ses partisans à ériger des barrages routiers dans leur quartier et à « dénoncer » les étrangers—un terme explosif employé par le camp Gbagbo pour désigner les Ivoiriens du Nord et les immigrés ouest-africains. Immédiatement après cet appel, Human Rights Watch a documenté une nette augmentation des violences commises par les Jeunes patriotes, le plus souvent selon des critères ethniques ou religieux. Selon Human Rights Watch, Charles Blé Goudé est vraisemblablement impliqué dans des crimes contre l’humanité. Selon certaines sources, il se cacherait au Ghana, mais sa présence a auparavant été signalée au Bénin et en Gambie.[265] Le 1er juillet, le procureur Simplice Koffi a annoncé que les autorités demandaient un mandat d’arrêt international contre Charles Blé Goudé pour ses crimes post-électoraux. [266]
Général Philippe Mangou – En tant que chef d’état-major des forces armées sous le régime de l’ex-Président Laurent Gbagbo, Philippe Mangou était à la tête de troupes qui auraient commis des crimes de guerre et, probablement, des crimes contre l’humanité. La presse internationale et ivoirienne s’est largement fait l’écho de ces crimes. Pourtant, Philippe Mangou n’a pris aucune mesure concrète pour les empêcher, ni ouvert d’enquêtes contre ceux qui ciblaient systématiquement les partisans d’Alassane Ouattara. Le 21 mars, Philippe Mangou se trouvait au siège de l’état-major aux côtés de Charles Blé Goudé venu s’adresser à des milliers de Jeunes patriotes—ayant déjà pris part dans de nombreux meurtres et viols—venus entendre son appel à défendre le pays. D’après de nombreuses sources médiatiques, Philippe Mangou aurait promis—alors que les jeunes scandaient : « On veut des kalachnikovs »—que l’armée prendrait « tout le monde sans tenir compte ni du diplôme, ni de l’âge », ajoutant que « [c]e qui compte ici, c’est la volonté et la détermination de chacun. […] Nous vous convoquerons au moment opportun pour le combat ».[267] Les Jeunes patriotes ont continué à commettre des atrocités au cours des semaines suivantes. Le général Philippe Mangou, maintenu un temps chef d’état-major par Alassane Ouattara, a été rapidement remplacé par le général Soumaïla Bakayoko le 7 juillet.
Général Guiai Bi Poin – Guiai Bi Poin a été le chef du CECOS (Centre de commandement des opérations de sécurité), responsable de disparitions forcées, de violences sexuelles, de tirs à armes lourdes à l’aveugle tuant des civils et de la répression brutale des manifestations. Dans l’ensemble, compte tenu à la fois de leur ampleur et de leur caractère systématique, les crimes commis sous son commandement constituent, probablement, des crimes contre l’humanité. Guiai Bi Poin n’a jamais dénoncé ces crimes, et encore moins ouvert d’enquêtes contre des soldats suspectés de les avoir commis—, malgré le rôle important que le CECOS a joué dans les attaques contre des partisans d’Alassane Ouattara, rôle maintes fois dénoncé par des organisations de défense des droits humains ainsi que par la presse internationale et ivoirienne. Les membres de cette unité d’élite étaient facilement identifiables grâce à leurs véhicules marqués « CECOS ». Les quartiers d’Abobo et de Koumassi où se trouvaient des bases de « Camp Commando » dans lesquelles étaient stationnées les forces du CECOS ont particulièrement souffert. Alliées de longue date de Laurent Gbagbo, les forces de Guiai Bi Poin ont été l’une des dernières à se rendre. Un procureur militaire a entendu le général Bi Poin le 13 mai, le libérant à condition qu’il promette de répondre à une convocation ultérieure.[268] Le général Bi Poin ne faisait toutefois pas partie des 57 militaires inculpés au début du mois d’août, prenant même part le 22 juin à un rassemblement d’officiers chargés de désigner la nouvelle armée ivoirienne.[269] Toutefois, après la découverte présumée d’un charnier dans l’école de gendarmerie dont il était le commandant, le général Bi Poin a été arrêté le 20 août. Cinq jours plus tard, un procureur l’a inculpé pour « crimes économiques » et placé en détention préventive à Abidjan. [270]
Général Bruno Dogbo Blé – Bruno Dogbo Blé a été le commandant de la Garde républicaine, impliquée dans des cas de disparitions forcées, la répression brutale des manifestations et la persécution d’immigrés ouest-africains. Pris globalement, les crimes commis sous son commandement constituent, probablement, des crimes contre l’humanité. Le quartier de Treichville à Abidjan, où se trouve le camp de la Garde républicaine, a particulièrement souffert. Tout comme le général Guiai Bi Poin, bien que des groupes de défense des droits humains et la presse se soient fait l’écho des crimes commis par ses forces, Bruno Dogbo Blé ne les a jamais dénoncés, et a encore moins ouvert des enquêtes contre les soldats qui en étaient responsables. Bruno Dogbo Blé a été arrêté par les Forces républicaines le 15 avril. Au moment de la rédaction de ce rapport, il était détenu dans un camp militaire à Korhogo. Un procureur militaire l’a inculpé le 11 août pour son rôle dans certains crimes de sang commis durant les violences post-électorales. [271]
« Bob Marley » – Ce chef mercenaire libérien qui a combattu pour Laurent Gbagbo dans l’ouest du pays est impliqué dans deux massacres et d’autres meurtres ayant fait au moins 120 morts, dont des hommes, des femmes et des enfants. D’après des victimes et des témoins, il a pris part et aidé à orchestrer des attaques dans lesquelles des immigrés ouest-africains et des Ivoiriens du Nord ont été pris pour cible sur la base de critères ethniques. Il a été arrêté au Libéria en mai 2011. Au moment de la rédaction de ce rapport, il était détenu à Monrovia dans l’attente de son inculpation pour « mercenarisme ».[272]
Général Pierre Brou Amessan, directeur de la RTI – En tant que directeur de la chaîne de télévision RTI contrôlée par Laurent Gbagbo, il a régulièrement supervisé des émissions qui incitaient à la violence contre les partisans d’Alassane Ouattara et les étrangers, appelant les vrais Ivoiriens à les « dénoncer » et à « nettoyer » le pays. Des violences de grande ampleur contre des partisans de Laurent Gbagbo s’en sont souvent suivies. La chaîne a également encouragé l’attaque de personnels et de véhicules des Nations Unies, attaques qui se sont répétées durant toute la crise. D’après le Statut de Rome, les crimes de guerre comprennent « [l]e fait de diriger intentionnellement des attaques contre le personnel, les installations, le matériel, les unités ou les véhicules employés dans le cadre d’une mission […] de maintien de la paix […] pour autant qu’ils aient droit à la protection que le droit international des conflits armés garantit aux civils et aux biens de caractère civil ».[273]
Denis Maho Glofiéhi – Connu sous le nom de « Maho », il a longtemps été le chef des milices pro-Gbagbo présentes dans l’ouest du pays. En juillet 2010, il a indiqué à Human Rights Watch avoir commandé 25 000 combattants sous la bannière du Front de libération du Grand Ouest (FLGO).[274] Les milices qui auraient été sous le commandement de Maho ont participé à des massacres dans l’ouest du pays et à Abidjan—où il a été aperçu lors des derniers mois de la crise, souvent en compagnie de Charles Blé Goudé. Maho aurait fui Yopougon avant l’arrivée des Forces républicaines. Le lieu où il se trouve actuellement n’est pas connu publiquement.

Camp Ouattara

Capitaine Eddie Médi (ou Eddy Médy, variante orthographique utilisée par certains médias ivoiriens) – Eddie Médi était le commandant des Forces républicaines chargé de mener l’offensive de mars de Toulepleu à Guiglo. Le long de cet axe, de nombreux hommes, femmes et enfants guérés ont été tués, au moins 20 femmes ont été violées, et plus de 10 villages réduits en cendres. Des rapports fiables indiquent que les forces sous son commandement ont perpétré d’autres massacres après avoir pris le contrôle de la région, Eddie Médi menant depuis sa base à Bloléquin des opérations de « nettoyage ». [275] Eddie Médi ne semble avoir pris aucune action sérieuse pour empêcher les crimes ni punir ceux qui en étaient responsables dans ses rangs. Au moment de la rédaction de ce rapport, Eddie Médi était toujours commandant à Bloléquin.
Commandant Fofana Losséni – Le 10 mars, Guillaume Soro l’a affublé du titre de chef de la « pacification de l’extrême ouest », l’identifiant comme le supérieur du capitaine Eddie Médi et le commandant en chef de l’offensive des Forces républicaines dans l’ouest du pays. Également connu sous le diminutif de « Loss », il a été le commandant de secteur des Forces nouvelles à Man. Des soldats sous son commandement ont pris le contrôle de Duékoué le 29 mars au matin et joué un rôle important dans le massacre de centaines de personnes dans le quartier Carrefour. Aucune action sérieuse ne semble avoir été prise par Loss pour empêcher ces crimes ou punir ceux qui en étaient responsables dans ses rangs. Au moment de la rédaction de ce rapport, il était toujours commandant des Forces républicaines. D’après la presse ivoirienne, il a été nommé vice-commandant d’une force d’élite ivoirienne appelée à suivre une formation en France. [276]
Commandant Chérif Ousmane – Durant l’assaut final sur Abidjan, il était le chef des opérations des Forces républicaines à Yopougon, où de nombreux partisans présumés de Laurent Gbagbo ont été sommairement exécutés. D’après un soldat de sa « compagnie Guépard », Chérif Ousmane aurait lui-même ordonné l’exécution de 29 prisonniers début mai. Longtemps commandant des Forces nouvelles à Bouaké, un rapport de l’IRIN—service de nouvelles et d’analyses humanitaires—de 2004 indique que celui-ci a supervisé des forces impliquées dans l’exécution sommaire de mercenaires libériens et sierra-léonais. [277] Le 3 août2011, le Président Ouattara a promu Chérif Ousmane au rang de commandant-en-second du Groupe de sécurité de la présidence de la République. [278]
Commandant Ousmane Coulibaly – Longtemps commandant de secteur des Forces nouvelles à Odienné, Ousmane Coulibaly a dirigé des soldats des Forces républicaines impliqués dans des actes de torture et des exécutions sommaires dans le secteur Koweit de Yopougon. Ces événements se sont déroulés sur plusieurs semaines, et aucune action ne semble avoir été prise par Ousmane Coulibaly pour prévenir les crimes ou en punir les responsables. À l’époque, Ousmane Coulibaly avait comme nom de guerre « Ben Laden ». Il en changera le 20 juin 2011 pour devenir « Ben le sage ». Au moment de la rédaction de ce rapport, il était toujours officier de commandement des Forces républicaines.

Forces non officiellement alignées

Amadé Ouérémi (couramment appelé « Amadé ») – Chef d’un groupe burkinabé puissamment armé dans la région du Mont Péko dans l’extrême ouest de la Côte d’Ivoire, Amadé Ouérémi et ses hommes ont été identifiés par de nombreux témoins comme figurant parmi les principaux auteurs du massacre survenu à Duékoué le 29 mars dans le quartier Carrefour. Des témoins et des habitants de ce quartier ont indiqué à Human Rights Watch et à Fraternité-Matin, le quotidien contrôlé par l’État, qu’Amadé Ouérémi avait combattu aux côtés des Forces républicaines à Duékoué, [279] sans qu’il n’existe toutefois de chaîne de commandement claire entre les deux forces. Le 10 août, la mission de maintien de la paix des Nations Unies a recueilli les armes et les munitions de « près de 90 membres » du groupe d’Amadé Ouérémi. [280] Les habitants du quartier ont cependant confié à Human Rights Watch et à Fraternité-Matin que les hommes d’Amadé Ouérémi ne s’étaient défaits que d’une petite partie de leur arsenal. [281]

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