dimanche 18 septembre 2011

La Côte d’Ivoire en guerre.


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LE DOSSIER
La Côte d’Ivoire en guerre.
Le 19 septembre 2002, un groupe de soldats tentait un coup d’État en Côte
d’Ivoire puis se présentait comme des membres du Mouvement patriotique
de la Côte d’Ivoire (MPCI). Le 28 novembre, deux autres groupes insurgés
a p p a ru rent dans l’ouest du pays, le Mouvement pour la justice et la paix
(MJP) et le Mouvement patriotique, du Grand Ouest (MPIGO). Ils prétendaient combattre pour venger la mort de Robert Gueï, tué à Abidjan au matin
du 20 septembre 2002, et pour renverser le président Gbagbo. 
Bien que l’établissement des faits soit un exercice délicat en raison des
difficultés, pour les organisations humanitaires et les observateurs indépendants, de circuler dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, certains points sont aujourd’hui clairs. D’abord, les groupes insurgés de l’Ouest ivoirien sont liés au
MPCI et soutenus par des soldats gouvernementaux libériens et d’anciens
combattants du Front révolutionnaire uni de Sierra Leone (RUF). Ensuite, le
président Gbagbo a armé des forces libériennes hostiles à Charles Taylor pour
qu’elles combattent à ses côtés et a autorisé l’armée ivoirienne (Forces armées
nationales de Côte d’Ivoire, Fanci) à les aider à retourner dans leur pays afin
d’y renverser le président Ta y l o r. De plus, la guerre libérienne s’est également
déployée dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, exacerbant le conflit ivoirien. Il faut
Comfort Ero et Anne Marshall
L’ouest de la Côte d’Ivoire :
un conflit libérien 1
?
L’émergence de deux mouvements rebelles dans l’Ouest
ivoirien, deux mois après la tentative avortée de coup
d’État, souligne clairement l’imbrication des conflits 
au Liberia et en Côte d’Ivoire. Allié de Robert Gueï,
aujourd’hui décédé, Charles Tay lor a fortement contribué
à la création de ces deux groupes, à leur entraînement
m i l i taire et à leurs armements, surtout après le 19 s e ptembre. De son côté, Laurent Gbagbo a recruté, armé et
financé des groupes armés hostiles à Tay lor, les
utilisant comme supplétifs pour la guerre dans l’Ouest
et leur donnant toute latitude pour attaquer les
positions de Charles Taylor à proximité de la frontière
commune.89
Politique africaine n° 89 - mars 2003
ajouter qu’un certain nombre de combattants jusqu’alors impliqués dans le
conflit du fleuve Mano (Sierra Leone, Liberia et Guinée) se recyclent dans la
g u e r re ivoirienne, mieux rémunérée
2
. Enfin, un véritable désastre humanitaire
se dessine dans cette région du fait de la multiplication des exactions, des
tueries et des pillages contre les populations civiles. On assiste à un engre n a g e
d’attaques et de représailles, aiguisées des deux côtés par les dirigeants, qui
prend de plus en plus la forme d’une guerre ethnique. 
Il n’est guère surprenant qu’aujourd’hui Côte d’Ivoire et Liberia interfère n t
chacun dans le conflit de l’autre. Durant la période Houphouët-Boigny (1960-
1993), et notamment dans les années 1980, lorsque Charles Taylor apparu t
sur la scène politique libérienne, les deux pays s’ingéraient plus ou moins
ouvertement dans les aff a i res de l’autre. La partie occidentale de la Côte
d ’ I v o i re a ainsi joué un rôle essentiel dans la pre m i è re guerre civile libérienne
(1989-1997), offrant à la fois une voie de passage pour les armes et un centre
de négoce pour le Front national patriotique du Liberia (NPFL) de Charles
Ta y l o r. Y avaient trouvé refuge des Libériens qui fuyaient leur pays et s’opposaient à Ta y l o r, notamment des représentants du groupe ethnique krahn, dans
le comté du GrandGedeh, qui cherchaient à échapper à l’instabilité politique
dans les années 1980, puis à la guerre civile à partir de 1989.
Le mouvement des groupes insurgés ivoiriens du Liberia vers la Côte
d ’ I v o i re et la prise de Danané et Man, villes de l’Ouest ivoirien, le 28 n o v e m b re
2002, n’ont été possibles qu’avec l’assentiment des plus hautes autorités
libériennes. Pourquoi et dans quelle mesure le président Taylor est-il impliqué
dans la crise ivoirienne ? Ce dernier était-il au fait de la tentative de coup
d’État et, dans ce cas, y a-t-il participé? Ou bien a-t-il pris le train en marche,
car les rebelles du MPCI, après avoir perdu Daloa en octobre 2002, entendaient contourner la ligne de cessez-le-feu et ouvrir un front à l’ouest en
relançant l’offensive dans la « b o u c l e « du café-cacao, voire pre n d re le contrôle
du port de San Pedro ?
1. Cet article s’appuie sur une recherche de terrain financée par International Crisis Group. Celle-ci
donnera lieu dans les prochaines semaines à la parution de deux rapports sur le Liberia et la Côte
d ’ I v o i re, qui seront disponibles notamment sur le site . Les auteurs s’expriment
ici en leur nom pro p re. Nombre de précisions et de références qui ne figurent pas dans ce texte
compte tenu de sa brièveté seront explicitées dans ces deux rapports. 
2. Se reporter à notre dossier « Liberia, Sierra Leone, Guinée : la régionalisation de la guerre», P o l i t i q u e
africaine, n° 88, décembre 2002.90
LE DOSSIER
La Côte d’Ivoire en guerre. 
La guerre ivoirienne de Taylor
Pour comprendre le rôle de Charles Taylor dans la guerre ivoirienne, il est
utile de revenir sur la fin des années 1980, lorsque celui-ci se préparait à
l ’ a ff rontement avec le président libérien d’alors, Samuel Doe. HouphouëtBoigny donna son feu vert à l’offensive de Taylor à partir de la Côte d’Ivoire
le 24 d é c e m b re 1989. La décision du président ivoirien était motivée par
l’assassinat, par Doe, du président libérien William Tolbert puis de son fils
Aldolphus (marié à la filleule d’Houphouët, Désirée Delafosse) lors du coup
d’État de 1980
3
.
L’intégration de soldats ivoiriens dans les rangs du NPFL permit un rapprochement entre son dirigeant et le chef d’état-major ivoirien Robert Gueï. En eff e t ,
par ses fonctions, Gueï jouait un rôle crucial dans l’approvisionnement en
armes de Taylor quand celui-ci est entré au Liberia. De plus, ces liens étaient
re n f o rcés par des affinités ethniques entre les combattants de Taylor et les
soldats ivoiriens intégrés au NPFL qui, comme Gueï, étaient originaires de
Gouessessou, au nord de la ville de Man. Ces relations cordiales se poursuiv i rent après la mort d’Houphouët et, au milieu des années 1990, la Côte
d ’ I v o i re jouait un rôle essentiel tant dans le négoce des produits libériens que
dans l’approvisionnement en armes de Taylor. Ces liens ne pouvaient que se
resserrer davantage lorsque Gueï devint le chef de la junte militaire après le
renversement d’Henri Konan Bedié en décembre 1999. Comme chef d’État, 
Gueï pouvait fournir des armes et du matériel militaire au président libérien
qui, quant à lui, le pourvoyait en troupes fidèles issues des rangs du Ruf 
et du NPFL. Nombre de ces combattants (on en ignore le nombre exact) 
furent placés dans une unité d’élite, les Brigades rouges, relevant de la garde
présidentielle.
Un «pacte » fut alors apparemment conclu entre Gueï et Taylor : ce dernier
soutiendrait Gueï s’il tentait un coup d’État en cas d’échec aux élections pré-
sidentielles ivoiriennes d’octobre 2000. Il semble que, au cours du second
semestre 2000, des soldats loyaux à Gueï entraînaient au moins 500 combattants originaires du Liberia, parmi lesquels figuraient également des éléments
du Ruf et des soldats du Burkina Faso sous le commandement d’un des
principaux chefs militaires de Taylor, Kuku Dennis, à proximité de la rivière
Gbeh dans le comté du fleuve Gee, dans le Liberia oriental. Le 24 o c t o b re
2000, les pre m i è res indications plaçant Laurent Gbagbo en tête, le général
Gueï stoppait le décompte des votes, dissolvait la Commission électorale et 
se proclamait vainqueur. Laurent Gbagbo demandait alors à ses partisans 
du Front populaire ivoirien (FPI) de manifester contre Gueï. Celui-ci dut finalement, après des manifestations et des incidents sanglants, choisir l’exil au91
Politique africaine 
L’ouest de la Côte d’Ivoire: un conflit libérien ?
Bénin, où il demeura deux mois avant de regagner sa ville d’origine, dans
l’Ouest ivoirien. Un autre centre d’entraînement fut ouvert au début de 2001
dans le comté du Grand Gedeh près du fleuve Cavally, à la fro n t i è re ivoirienne. Le commandant Kuku Dennis en avait à nouveau la supervision (c’est
dans cette région qu’était sa base). Les activités de Gueï dans l’Ouest étaient
connues de tous et sa participation au Forum de réconciliation nationale, 
sa présence à la réunion des « q u a t re Grands » à Ya m o u s s o u k ro en janvier
2002 et la collaboration de son organisation au gouvernement ne dissipaient
pas la méfiance de Gbagbo et de ses partisans, qui le suspectaient de comploter
contre eux.
Les circonstances du meurtre de Gueï (il fut re t rouvé mort près de son
domicile, en survêtement, T-shirt et sandales, alors que le gouvernement pré-
tend qu’il fut tué au cours d’aff rontements alors qu’il se rendait à la télévision
pour y annoncer sa prise de pouvoir), le matin suivant l’attaque à Abidjan,
laissaient entendre à certains qu’il n’était pas au courant du coup d’État, ou
qu’il ne l’attendait pas à ce moment-là. Pourtant, depuis une dizaine de jours,
les rumeurs de putsch circulaient, et ceux qui le mirent finalement en œuvre
ne semblaient avoir de liens ni directs ni cordiaux avec Gueï. Ses partisans
yacouba dans les environs de Man et de Danané déclarèrent aussitôt que, dès
le deuil achevé (quarante jours), le pays devait s’attendre à une vive réaction
des gens de l’Ouest. Les 26 et 27 s e p t e m b re, l’un des généraux les plus fameux
de Taylor, «Jack le rebelle », se rendit à Danané. Selon des réfugiés libériens,
des Gio du Liberia passaient sans cesse la frontière afin d’évaluer la situation
en Côte d’Ivoire au lendemain de l’échec du coup d’État. Des habitants du comté
de Nimba (Liberia) affirmaient également que leurs compatriotes re c ru t é s
pour l’opération ivoirienne étaient entraînés à Belegaly, ville d’où est originaire
l’un des chefs militaires de Ta y l o r, Roland Duo, et à Ganta. Il fallut deux mois
pour que l’offensive se déploie du Liberia vers la Côte d’Ivoire. À en cro i re des
Libériens du comté de Nimba, des associés de Taylor, tels Benjamin Yeaten et
Roland Duo, transportaient des re c rues ivoiriennes et libériennes de leur
région vers Danané chaque semaine, tard dans la nuit, dès après la mort de
Gueï, lorsque la tentative de coup se transforma en rébellion militaire.
Quand les rebelles lancèrent leur attaque à l’ouest le 28 n o v e m b re, un
g roupe s’attaqua à Danané et un autre se dirigea vers Man et ses alentours afin
de sécuriser la zone. Ce dernier groupe se dénomma Mouvement pour la
3. A. Adebajo, Building Peace in West Africa : Liberia, Sierra Leone and Guinea-Bissau , Boulder, Lynne
R i e n n e r, 2002, p. 48, et S. Ellis, The Mask of Anarc h y. The Destruction of Liberia and Religious Dimensions
of an African Civil War , Londres, Hurst and Co., 1999, pp. 53-54. 92
LE DOSSIER
La Côte d’Ivoire en guerre. 
justice et la paix et la justice (MJP), alors que celui resté à Danané, dûment baptisé Mouvement patriotique ivoirien du Grand Ouest (MPIGO), se lança à
l’assaut de Bloléquin, Touba et Toulépleu. L’ h i s t o i re de ces deux mouvements
reste assez obscure. Le dirigeant du MPIGO, Felix Doh, se révéla être non un
Yacouba comme il le prétendit un temps, mais un Baoulé du nom de N’dri
N’guessan, un ancien collaborateur de Gueï. Selon certains observateurs, le
MPIGO serait pour l’essentiel composé de fidèles de Gueï, ainsi que de Libériens
et de Sierra-Léonais. Les opérations militaires seraient le plus souvent coordonnées par les proches de Ta y l o r. Ainsi, l’attaque de Danané le 28 n o v e m b re
fut menée par quelques-uns de ses chefs militaires les plus réputés : K u k u
Dennis, Sam «Mosquito » Bockarie, Roland Duo, Aldolphus Dolo et George
Douana du comté de Lofa, plus connu sous le surnom de « Jack le re b e l l e » o u
de « Général Mission ». Des témoins certifient avoir vu Sam Bockarie entre
Danané et Monrovia au début de la crise, puis entre Man et Bouaké, jouant un
rôle de conseiller et s’engageant occasionnellement dans des combats. Pour la
plupart des observateurs présents dans la région à cette époque ou juste après,
le MJP, le plus petit des deux mouvements, ne serait en fait qu’un satellite du
MPCI, même si des Libériens et des Sierra-Léonais en font partie. Les chefs militaires du MPCI, de même que certains de ses équipements, furent identifiés
à Man au début du mois de décembre. Grâce aux témoignages de voyageurs
dans cette région contrôlée par le MJP, on sait que les laissez-passer émis par
le MPCI et le MJPsont également valides, mais qu’ils suscitent des réticences
au contrôle tenu par le MPIGO à l’entrée de Danané. Malgré leurs diff é re n c e s ,
ces deux mouvements ont procédé de la même manière et re c ruté de nombre u x
combattants libériens et sierra-léonais, mais aussi des merc e n a i res originaire s
d’autres pays d’Afrique de l’Ouest. Évoquant la situation dans la région au
début du mois de janvier 2003, avant le déploiement des forces de maintien
de la paix de la Cedeao (Ecoforce), un travailleur humanitaire ironisait : « Les
forces de la Cedeao sont déjà sur place depuis un bon mois ! »
L’ampleur du contrôle exercé par Monrovia sur les opérations militaires re s t e
cependant indéterminée. Les rebelles de l’Ouest ne pouvaient lancer leur
offensive à partir du Liberia sans un accord de Taylor, et ce dernier autorise
r a rement de telles opérations sans être complètement au fait de leurs moindre s
détails. Les Yacouba fidèles à Gueï avaient besoin du Liberia pour s’emparer
des villes de l’Ouest : il leur fallait des armes en quantités significatives et 
ils les ont obtenues, ce qui montre que l’embargo sur les armes frappant le
Liberia n’est guère respecté. Les attaques sur Danané et Man ont coïncidé
avec l’arrivée au Liberia de six avions-cargos contenant des armes et des
munitions, soit près de 200 tonnes de matériels provenant de vieux stocks
yougoslaves qui auraient été également utilisés pour repousser les forces du93
Politique africaine 
L’ouest de la Côte d’Ivoire: un conflit libérien ?
L u rd 4
(Liberians United for Reconciliation and Democracy) au nord du p a y s .
Ces armes peuvent également avoir été fournies par l’ami de longue date de
Taylor qu’est le président burkinabè Blaise Compaoré. Lors d’entretiens, des
soldats libériens ont affirmé que les armes stockées en juillet 2002 au palais pré-
sidentiel à Monrovia provenaient directement du Burkina Faso. Aucune information sur des armes transitant par des zones tenues par le MPCI avant les
attaques de novembre et de décembre n’a été confirmée, mais, étant donné la
présence attestée de véhicules MPCI et d’autres équipements à Man et Danané,
il semble raisonnable d’en admettre la probabilité. En revanche, des livraisons
récentes, en provenance des zones tenues par le MPCI, d’armes destinées au
MPIGO sont indéniables : elles sont organisées par le responsable des opérations militaires du MPCI, le colonel Michel Gueu, sur ordre du chef des opé-
rations Tuo Fozié. Le MPCI a également pris d’autres initiatives dès le début
du mois de janvier: par exemple, il a envoyé certains de ses chefs militaires à
Man et à Danané afin de se débarrasser des éléments libériens les plus incontrôlables, ce qui traduit une interdépendance au niveau militaire qui coïncide
bien avec l’alliance politique nouée durant les discussions de Marcoussis.
Ainsi, le re f roidissement des relations entre Blaise Compaoré et Charles
Taylor paraît avoir été exagéré. Si le soutien du premier au second peut s’être
réduit, comme tend à le suggérer la diminution du nombre d’hélicoptère s
transportant armes et munitions de Ouagadougou à Monrovia, plusieurs
observateurs libériens et burkinabè restent convaincus que les deux dirigeants
s’étaient mis d’accord pour soutenir le coup d’État en Côte d’Ivoire, et que la
relative détérioration de leurs relations n’était que pour la galerie… 
De la même manière, le tableau souvent dressé lors d’entretiens suggère que
le président Taylor a, dès l’accession de Gbagbo à la présidence ivoirienne,
travaillé à son renversement. Cependant, le degré de coordination entre Compaoré et Taylor n’est pas connu. D’un côté, les acteurs ivoiriens impliqués
directement dans le MPCI étaient coupés des partisans de Gueï dans l’Ouest.
Ceux en exil à Ouagadougou, notamment Ibrahim Coulibaly (IB) mais aussi
Tuo Fozié et Chérif Ousmane, ont été accusés par Gueï de comploter contre
lui en 2000 et, si ces deux derniers en sont sortis vivants, ils ont été torturés
ou laissés pour morts. Étant donné l’endroit où ils se trouvaient et leur succès
initial, aucun des rebelles n’aurait pu lancer une attaque sans l’appui financier ou militaire de Charles Taylor ou de Blaise Compaoré. Il est possible
d’imaginer un arrangement tacite entre ces deux présidents : chacun traiterait
4. W. Reno, «La “sale petite guerre” du Liberia », Politique africaine, n°88, décembre 2002, pp.63-82.
Sur ces envois d’armes, voir le rapport du panel d’experts sur le Liberia nommé par la résolution 1408
du Conseil de sécurité (2002), §64-74, pp. 18-20, du 7 octobre 2002. 94
LE DOSSIER
La Côte d’Ivoire en guerre. 
avec les interlocuteurs ivoiriens qui lui sont le plus proches. Les dirigeants du
MPCI sont associés étroitement avec le Burkina Faso et des informations de
première main évoquent une planification du coup d’État de septembre 2002
dès le d é b u t 2 0 0 1
5
. Il est significatif que, selon plusieurs sources, les deux
conseillers de Blaise Compaoré qui sont également des interlocuteurs privilégiés
de Taylor (Salif Diallo, ministre d’État pour l’Agriculture, et Roch-Christian
Kaboré, président de l’Assemblé nationale) ont été en relation constante avec
IB, généralement considéré comme le véritable cerveau militaire du MPCI. De
plus, les combattants libériens et sierra-léonais ont été vus dans le fief du
MPCI à Bouaké peu après la tentative de coup d’État, bien qu’ils aient pu être
là sans ord re du président libérien 6
. Enfin, selon un proche de Ta y l o r, deux de
ses collaborateurs – son ambassadeur itinérant à Abidjan, par ailleurs son
financier et son négociant en armes, Mohamed Salimé, et le général Melvin
Sobandi, dirigeant de l’entreprise de télécommunications que Taylor possède
à Monrovia –, se sont rendus à Bouaké le 17 septembre avec de grosses sommes d’argent.
Si Taylor a des intérêts commerciaux, militaires et stratégiques qui expliquent
son implication dans le conflit ivoirien, il lui fallait davantage, une motivation
plus directe et un espace de manœuvre pour s’engager dans les combats. 
La pre m i è re motivation pourrait avoir été le re c rutement, par le président
Gbagbo, de combattants opposés à Taylor après l’échec du coup d’État, pour
se parer contre les attaques toujours possibles de rebelles MPCI du Nord
ivoirien et renforcer son armée divisée, peu efficace et motivée. Beaucoup de
ces combattants avaient vécu dans l’Ouest ivoirien comme réfugiés, et nombre
d’entre eux étaient des fidèles de l’ancien président libérien Samuel Doe qui
avaient appartenu à l’armée libérienne. D’autres étaient des re c rues des factions
qui avaient combattu Taylor dans la longue guerre civile (surtout Ulimo-J) puis
s’étaient repliées dans l’Ouest ivoirien. Certains, enfin, étaient membres du
Lurd, présent notamment en Côte d’Ivoire.
Taylor savait en 2001 que Gbagbo soutenait financièrement le Lurd, mais
il semble qu’il n’en prît pas ombrage tant que ce mouvement ne lui créa pas
de difficultés. À l’automne 2002, la situation changea radicalement, car le
président ivoirien armait des forces qui lui étaient hostiles. Plus qu’un pacte
conclu avec son allié Robert Gueï, Taylor entrevoyait la possibilité pour le
L u rd d’ouvrir un nouveau front et rendait Gbagbo responsable de ce nouveau
p roblème sécuritaire. Il s’agissait pour lui de contre c a r rer la création d’un
nouveau front en aidant les rebelles de l’Ouest ivoirien. Les attaques dans le
comté de Grand Gedeh en janvier et février 2003, comme on le verra ci-dessous,
ont été menées par le Lurd et les loyalistes des Fanci… Taylor avait raison de
s’inquiéter. 95
Politique africaine 
L’ouest de la Côte d’Ivoire: un conflit libérien ?
Stratégiquement, l’implication de Taylor dans la crise ivoirienne corre spond aussi à une tentative de construire une base arrière en cas de fuite si les
élections libériennes n’avaient pas lieu en octobre 2003 et que la communauté
internationale refusait de le re c o n n a î t re, ou s’il était poursuivi par la nouvelle
Cour spéciale internationale basée à Freetown. Danané apparaissait ainsi
comme un véritable sanctuaire pour lui. On peut également supposer, si 
l’on considère la dimension commerciale du conflit, que Taylor avait spéculé
sur la tentative des rebelles MPCI basés au Nord d’ouvrir un second front. 
Le MPCI avait besoin, en effet, de pre n d re le contrôle des zones les plus riches
du pays, notamment la ville de Daloa, à l’ouest, essentielle pour le cacao (ville
qu’il fut incapable de conserver en octobre), afin d’empêcher Gbagbo d’acheter
des armes en utilisant les revenus tirés de ce négoce. Après l’échec du coup
d’État, l’intervention française avait coupé le pays en deux. La région occidentale du pays, au sud de la ligne de démarcation contrôlée alors par à peine
7 0 0 soldats français, était laissée sans surveillance. Il est probable que les
rebelles entendaient s’assurer le contrôle de San Pedro avant les négociations
de paix à Paris : en effet, hormis Danané qui possède un aéroport et sert de
v e r rou pour l’accès au Liberia ou à Man, San P e d ro était incontournable pour
le ravitaillement en armes et munitions. Les Français, qui eurent vent de ce 
p rojet d’attaque, sécurisèrent rapidement la ville, et le port est demeuré 
jusqu’à aujourd’hui sous contrôle du gouvernement ivoirien.
San Pedro a toujours été le principal port d’exportation pour le bois ivoirien, libérien et même guinéen. La route qui le relie à Danané et à la frontière
libérienne est donc souvent encombrée par des camions chargés de bois, dont
beaucoup traversent la frontière à Toulépleu (du côté ivoirien) ou à Logatuo
(du coté libérien, dans le comté de Nimba)
7
. À plusieurs occasions, le port de
San Pedro a aussi été un lieu important pour l’approvisionnement en armes
de Charles Taylor, même si les ports libériens de Greenville et Harper ont pu
jouer un rôle très significatif. Ainsi, la présence du MPIGO sert également à
empêcher des forces rebelles libériennes de rentrer au Liberia et de gêner les
a ff a i res de Ta y l o r : le MPIGO fait en quelque sorte fonction de blocus. Le
1 9 f é v r i e r, son porte-parole Félix Doh, Michel Gueu du MPCI et Gaspard Déli,
le dirigeant du MJP, assistaient à une réunion à Monrovia où étaient aussi
présents Benjamin Yeaten, le général «Eagle », chef de l’Unité anti-terroriste,
5. Voir également l’article de Richard Banegas et René Otayek dans ce dossier.
6. « Côte d’Ivoire : the nightmare scenario », Africa confidential , 43 (19), 27 septembre 2002, p. 1.
7. Global Witness, Ta y l o r - m a d e: the Pivotal role of Liberia’s Forests in a Regional Conflict , Londre s ,
septembre 2001, p. 8. Accessible sur le site .96
LE DOSSIER
La Côte d’Ivoire en guerre. 
et Sam «M o s q u i t o » Bockarie. Il s’agissait de définir une stratégie pour contrô-
ler l’Ouest et San Pedro de sorte que Taylor puisse avoir accès à tout ce dont
il avait besoin, du bois aux armes….
L’utilisation des forces du Lurd par 
le président Gbagbo
La crise ivoirienne offrait également de nouvelles possibilités aux forces
opposées à Taylor de repartir à l’offensive. Nombre des supplétifs libériens de
l’armée gouvernementale ivoirienne appartiennent en fait au Lurd, mais il 
y a aussi d’autres Libériens, en particulier des réfugiés, qui ont été souvent
re c rutés de force ou ont choisi de combattre. Le Lurd en Côte d’Ivoire re g ro u p e
pour l’essentiel des dirigeants politiques en exil et d’anciens combattants 
des différentes factions qui ont essaimé dans l’opposition à Taylor lors de la
guerre civile libérienne
8
.
Selon les dirigeants du Lurd basés en Guinée, en février et mars 2002, entre
300 et 500 combattants se trouvaient dans l’Ouest ivoirien, dans l’attente
d’instructions pour partir au combat. Les mêmes prétendaient qu’ils étaient
disposés à étendre les hostilités à tout le territoire libérien si le président 
Taylor refusait d’accéder à leurs revendications, dont la plus importante était
sa démission. Pour eux, encore, Taylor avait déplacé des équipements et
d ’ a u t res fournitures dans le sud-est du pays mais, s’il quittait sa base de
M o n rovia ou cherchait à effectuer une jonction avec le général Gueï, ils
ouvriraient un nouveau front à partir de la Côte d’Ivoire.
La composante ivoirienne du Lurd, qui combat aujourd’hui en Côte d’Ivoire ,
a-t-elle agi indépendamment de ses chefs basés en Guinée ? Ces derniers
n i è rent savoir que leurs associés combattaient à proximité de la fro n t i è re
i v o i ro-libérienne. La branche ivoirienne du Lurd, dominée par les Krahn,
pourrait agir en toute indépendance. Elle peut essayer, en utilisant la crise
ivoirienne, de pre n d re pied au Liberia et éviter ainsi que la fraction guinéenne
du Lurd, dominée par les Mandingues, ne prenne le pouvoir seule à Monro v i a ;
d’ailleurs, la section du Lurd présente en Côte d’Ivoire tente à l’heure actuelle
de se donner une direction politique.
Malgré les divisions internes du Lurd, le président Gbagbo a bénéficié de
combattants déjà organisés et disposés à l’appuyer dans sa guerre. Cette
alliance a été facilitée par les rapports tissés dans le passé avec certains dirigeants libériens, eux-mêmes liés à la faction du Lurd basée en Côte d’Ivoire.
Les liens de Gbagbo avec le Liberia datent de la présidence de Doe. Les rapports entre celui-ci et Houphouët-Boigny s’étaient rapidement détériorés, on
l’a vu, et Gbagbo avait utilisé cette situation alors qu’il cherchait des fonds 97
Politique africaine 
L’ouest de la Côte d’Ivoire: un conflit libérien ?
pour s’opposer au régime à parti unique d’Houphouët. Deux ministres importants du gouvernement de Doe établirent le contact entre ce dernier et Gbagbo,
et ces hommes ont conservé jusqu’à aujourd’hui des amitiés étroites dans le
gouvernement de Gbagbo et avec des membres de son parti, le FPI. Samuel D o e
était un Krahn originaire du comté de Grand Gedeh. Beaucoup des Libériens
vivant en Côte d’Ivoire, notamment dans l’Ouest, sont des Krahn, et la Côte
d ’ I v o i re abrite également des groupes ethniques, comme les Guéré (aussi
appelés Wê), souvent décrits comme les « c o u s i n s » des Krahn libériens. Dans
l’Ouest, les partisans de Gbagbo, outre les Bété, son groupe ethnique, sont
essentiellement les Guéré. 
Ainsi, depuis le début de la crise ivoirienne, un certain nombre de notables
krahn qui, souvent, avaient occupé des fonctions dans le gouvernement de 
Doe, ont soutenu Gbagbo en l’aidant à re c ruter des combattants libériens ;
quelques-uns sont directement associés avec la composante ivoirienne du
Lurd. Du côté ivoirien, des personnalités guéré influentes dans le monde des
affaires et des loisirs, dans le parti de Gbagbo ou les services de sécurité, ont
également collecté des fonds, re c ruté et armé des membres du Lurd afin 
qu’ils combattent aux côtés des Fanci. L’approvisionnement en armes, pour
l’essentiel, s’effectue par l’entremise de l’un des responsables du Port autonome d’Abidjan et de deux officiers supérieurs guéré de l’armée ivoirienne.
Lors d’une réunion à Abidjan, à la fin 2002 ou au début 2003, entre dirigeants
krahn et guéré, un accord fut conclu, selon lequel « les Krahn libériens participeraient à la guerre menée par Gbagbo en échange de quoi leur seraient accordés le libre passage au Liberia et une aide militaire pour renverser Taylor ».
Le re c rutement de ces combattants se déroulait dans plusieurs lieux. Le
camp Nicla, un camp de transit au sud de Guiglo, dans l’Ouest, créé pour les
réfugiés libériens durant la première guerre civile libérienne, est le plus cité.
Il était en activité dès la fin du mois de décembre 2002, peut-être même avant.
Mais il faut également mentionner des camps de transit à A b i d j a n : e n t re 50 0 0 0
et 100 0 0 0 f r a n c s C FA étaient offerts à toute nouvelle re c rue, qui était mise
dans un bus et envoyée au combat. Un autre site de recrutement est le camp
de Bumjubura, à 30 kilomètres à l’ouest d’Accra, où vivent des réfugiés de la
p re m i è re guerre civile libérienne. Quelque 300 à 500 réfugiés étaient ainsi
emmenés de ce camp vers une base spéciale pour y suivre un entraînement
et recevaient au moins 250 dollars pour combattre ; cette opération était
o rganisée par un dirigeant du Lurd qui faisait la navette entre la Côte d’Ivoire
et le Ghana.
8. Voir L i b e r i a: the Key to Ending Regional Instability , Bruxelles, ICG Africa Report, 24 a v r i l 2002, 
pp. 8-9. Accessible sur le site .98
LE DOSSIER
La Côte d’Ivoire en guerre. 
Selon des données convergentes, et en dépit de ses dénégations, entre 1 5 0 0
et 2500 Libériens se battent aux côtés du gouvernement ivoirien. De plus, la
formation d’une force progouvernementale, les Forces de libération du
G r a n d Ouest, a été mentionnée par la presse acquise au régime. Celle-ci,
rendant compte de déclarations officielles, signale le recrutement de «jeunes
patriotes de l’Ouest », essentiellement d’origine guéré, opérant sous le contrôle
des Fanci pour la défense des civils contre les rebelles. Certaines attaques
seraient notamment perpétrées contre les populations d’origine guéré par 
des forces rebelles dominées par les Yacouba et les Gio (des assassinats que 
la presse progouvernementale a qualifiés de « g é n o c i d e »). De nouvelles 
re c rues, sans doute une fraction des 3 0 0 0 jeunes enrégimentés à Abidjan 
en novembre, ont été récemment envoyées sur le front ouest (près de 400 y
seraient déjà mortes), mais il faut souligner que ces forces supplétives sont 
d’une autre nature que les re c rues libériennes. La pre m i è re utilisation de 
ces dernières eut lieu le 6 d é c e m b re afin de re p re n d re Bloléquin, au sud 
de Danané, au MPIGO. Le 10 d é c e m b re, l’un des principaux responsables 
du re c rutement et un cadre militaire, Éric Dagbeson, trouva la mort lors 
d’une attaque sur Bloléquin. Ce n’est que le 10 janvier que ces combattants,
appuyés par les Fanci, reprirent le contrôle de Bloléquin et de Toulépleu.
Le gouvernement ivoirien n’a pas employé ces supplétifs libériens uniquement pour re p re n d re des villes aux rebelles, mais aussi pour mener des re p r é-
sailles contre les civils associés aux mouvements rebelles, notamment les
populations du Nord vivant dans l’Ouest (ivoiriennes ou burkinabè, appelées généralement dioula), les Yacouba et autres « e n n e m i s » du régime. Des
attaques et des représailles contre des populations civiles ont eu lieu depuis
que Man a été prise par les rebelles, puis perdue et reprise à nouveau. Les
Yacouba ivoiriens et leurs cousins libériens gio, mais aussi les Dioula, en ont
été les cibles et ont eux-mêmes attaqué des Ivoiriens guéré et des Krahn
l i b é r i e n s : ainsi a pris forme un cycle de violences interethniques, alimenté
également par les articles incendiaires des médias proches d’un camp ou 
de l’autre. Le 7 mars 2003, des combattants libériens supplétifs des Fanci ont
massacré des Dioula à Bangolo, au nord du dernier contrôle français, situé 
à Duékoué. Les troupes françaises furent alertées par des combattants du
M J P stationnés entre Man et Logoualé : 6 0 corps furent dénombrés, mais il
pourrait y en avoir bien plus. Hommes, femmes et enfants furent re t ro u v é s
assassinés à l’intérieur de leurs maisons. Les habitants autochtones avaient
commencé à quitter la ville pour San P e d ro et Duékoué dès la fin décembre ,
lors de l’entrée des rebelles dans le département de Bangolo et le début des
exactions. À l’arrivé des Français, la ville était vide de toute population, de
bétail et de nourriture …99
Politique africaine 
L’ouest de la Côte d’Ivoire: un conflit libérien ?
Durant la nuit du 7 mars, les troupes françaises arrêtèrent et désarmèrent
112 Libériens impliqués dans ce massacre. Après avoir admis être membres d’un
groupe de Libériens créés par les Fanci, ils furent emprisonnés à Daloa. Bien
entendu, les officiels ivoiriens nièrent tout re c rutement de Libériens, expliquant
qu’il s’agissait là de jeunes guéré du cru qui s’étaient mobilisés après les
tueries orchestrées par le MPIGO et le MJP dont leur communauté avait
s o u ffert. Cet épisode fut l’objet d’un rapport lu par le comité de suivi au
Conseil de sécurité la semaine suivante, provoquant une violente réaction
anti-française de la part du gouvernement Gbagbo, de ses militaires et de
leurs partisans dans la population. Le chef des «jeunes patriotes », le «géné-
r a l » Charles Blé Goudé (qui reçoit instructions et argent de la présidence), posa
alors un ultimatum aux forces françaises et exigea la libération immédiate
des ces «jeunes patriotes de l’Ouest » sous peine d’une marche de son mouvement sur Daloa pour les libérer de force. Le 26 mars, la base française à
Daloa était en effet assiégée par 5000 à 6000 «jeunes patriotes » dirigés par
Charles Blé Goudé et Eugène Djué: 65 détenus ont profité de la confusion
pour s’échapper
9
.
Le président Gbagbo s’est exprimé à maintes reprises contre ses homologues libérien et burkinabè en dénonçant leur aide aux rebelles ivoiriens,
tout en niant la moindre instrumentalisation des combattants du Lurd. Pourtant, comme le note un observateur, « tout le monde est d’accord sur le fait qu’il
arme des merc e n a i res et des miliciens. Il a dépensé des sommes énormes et ce
sont les factions libériennes qui en profitent ». Si Gbagbo peut nier aussi facilement la présence de Libériens dans les rangs de ses partisans, c’est parce qu’il
est difficile d’identifier les combattants du Lurd qui agissent de concert avec
les Fanci: ils portent le même uniforme et parlent français pour avoir passé tant
d’années sur le sol ivoirien.
Libériens versus Libériens
Depuis l’éclatement de la crise en Côte d’Ivoire, les Libériens, qu’ils soient
miliciens ou réfugiés, ont constitué une main-d’œuvre utile. Et les factions
combattantes libériennes ont également bénéficié de la crise ivoirienne. Les
événements, début 2003 près de Toulépleu, à la fro n t i è re entre le comté 
libérien de Nimba et le comté ivoirien de Grand Gedeh, montrent bien 
comment l’ouest de la Côte d’Ivoire est devenu un point critique dans 
la guerre au Liberia.
9. AFP, 26 mars 2003.100
LE DOSSIER
La Côte d’Ivoire en guerre. 
E n t re janvier et février 2003, des combats importants éclatèrent à To u l é p l e u .
Cette ville avait été sous le contrôle du MPIGO (et donc d’un nombre significatif de combattants libériens) depuis le 2 décembre 2002. Les Fanci mobilis è rent principalement les combattants krahn pour mener l’assaut et re p re n d re
Toulépleu. Les combats qui se déroulèrent alors furent largement une affaire
entre Libériens, le Lurd d’un côté, l’Unité anti-terroriste de l’autre. C’est le
p remier qui en sortit finalement vainqueur en février et en conserve le contrôle,
même si tout est fait sous la tutelle des Fanci. Au même moment, des attaques furent engagées contre la ville de Toe, dans le comté du Grand Gedeh,
et au Liberia. Les Fanci appuyèrent les combattants du Lurd. Au plus fort 
de l’offensive, le ministre de l’Information libérien, Reginald Goodridge, et 
le ministre de la Défense, Daniel Chea, annoncèrent que les forces de leur
gouvernement se vengeraient du régime de Gbagbo si de nouvelles attaques
se produisaient
10
.
La crise ivoirienne permet aux combattants libériens mal ou pas payés 
par Taylor de se payer « sur la population civile ». Comme beaucoup le disent,
c’est une « Operation Pay Yo u r s e l f». En effet, ils n’ont guère d’espoir de toucher
leur pécule au Liberia, et il n’y a plus grand-chose à y voler ; en revanche, la
Côte d’Ivoire off re de généreuses opportunités. Mais ils y sont en concurre n c e
avec de nombreux combattants originaires de Sierra Leone, du Burkina Faso
et d’autres pays, comme l’illustre la situation à Danané. Un diplomate occidental
notait que « les combattants se joignent à la guerre pour des voitures, des
climatisations, des toits en tôle, les poignées de porte… tout ce qui peut être
revendu est pillé». Beaucoup de combattants sont des merc e n a i res, et nombre
d ’ e n t re eux sont des drogués. Dans chaque camp, des règlements de comptes
violents liés à des disputes sur le partage du butin, voire de petites escarmouches entre groupes pourtant alliés, sont rapportés.
Les Ivoiriens de tous bords se lamentent aujourd’hui, car ils ont perdu le
contrôle des Libériens qu’ils ont eux-mêmes entraînés dans cette guerre :
comme le résumait un observateur local, « ce sont les Libériens qui pro -
voquent ce chaos et qui mènent aujourd’hui leur pro p re guerre ici ». Selon
une affirmation d’un responsable des Nations unies, « le gouvernement et les
rebelles ivoiriens ont re c ruté les Libériens car ils sont meilleurs au combat
mais, aujourd’hui, ils veulent s’en débarrasser ».
Les rebelles ivoiriens ont pris plusieurs mesures pour réorganiser les
Libériens et mieux les contrôler. Depuis janvier, des cadres du MPCI se sont
rendus dans des bases du MJP à Man pour améliorer la sécurité de la région.
Il y a eu également en janvier une tentative de renvoyer les Libériens de
Danané et au sud de Man sur la route vers Duékoué, là où se trouve le dernier poste français. Cette réorganisation peut être prématurée, et ses eff e t s101
Politique africaine 
L’ouest de la Côte d’Ivoire: un conflit libérien ?
d é p e n d ront de la guerre à l’intérieur du Liberia et de l’équilibre militaire
global. Taylor doit faire face à des difficultés croissantes sur différents fronts.
Depuis novembre 2002, il peine à stabiliser la situation. La fraction du Lurd
basée en Guinée a conquis Gbargna dans le comté de Bong, et des informations
laissent entendre que le Lurd en Côte d’Ivoire, aidé des Fanci, se préparerait
à mener une offensive dans le comté de Nimba. Taylor pourrait connaître 
de sérieuses complications s’il devait gérer ces deux fronts simultanément. La
meilleure solution pour lui est de conserver ses combattants en Côte d’Ivoire
afin d’éviter de nouvelles incursions du Lurd. L’Ouest ivoirien demeure r a
donc une zone dangereuse tant que durera la guerre au Liberia.
La situation dans l’Ouest s’est détériorée hors de toute mesure durant les
derniers mois et a créé un véritable désastre humanitaire, menaçant un processus de négociation politique déjà extrêmement fragile. La formation d’un
nouveau « gouvernement de réconciliation » fut plus ou moins acceptée à
Accra durant le week-end des 7 et 8 mars, date de l’attaque sur Bangolo !
Cependant, les forces internationales actives dans la médiation politique et
militaire ont une très faible marge de manœuvre et la réponse aux besoins
humanitaires a été dramatiquement insuffisante. La guerre en Irak ne pourra
g u è re infléchir cette situation, puisqu’on attendra des Français qu’ils y aillent
seuls. Même si Gbagbo en a fait deux fois la demande, l’application des 
a c c o rds de défense paraît impossible, notamment parce que les pro t a g o n i s t e s
libériens combattent des deux côtés. En tout cas, il est peu probable que
l’opinion publique française accepte l’envoi de troupes supplémentaires 
alors que des pertes sont certaines. La Cedeao n’a ni la force ni les ressources
pour re p re n d re en main la situation. En tout état de cause, pousser les 
Libériens de l’autre côté de cette fro n t i è re devenue virtuelle ne changerait
rien : toute solution doit être régionale et aborder le rôle des dirigeants de la
région et de leurs partisans dans le désastre ivoirien.
Comfort Ero, International Crisis Group, Freetown, 
et Anne Marshall, International Crisis Group
Traduction de Roland Marchal
10. «ULIMO Generals attack Grand Gedeh, two killed, government revels », The News, Monrovia, 
21 janvier 2003, et entretien avec Daniel Chea dans Focus on Africa, BBC radio, 1
er mars 2003.

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